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Le président sortant a été proclamé vainqueur de l’élection avec 72% des voix, un score bien plus élevé que pour ses trois premiers mandats. L’opposition dénonce des fraudes massives.
«Je ne me sens pas l’âme d’un dictateur», avait déclaré la semaine dernière Faure Gnassingbé, 53 ans, dans un entretien accordé au Monde et à l’Agence France-Presse. Son score officiel au scrutin présidentiel de samedi – 72,4% des voix dès le premier tour – rappelle pourtant qu’il règne sur le Togo sans partage. Jamais, depuis qu’il s’est assis dans le fauteuil de son père, Gnassingbé Eyadema, en 2005, «le Fils» ne s’est vu attribuer autant de suffrages.
«Quand j’ai succédé à mon père, les conditions dans lesquelles ça s’est fait, c’est sûr que c’est un peu comme le péché originel parce que c’est l’armée qui a pris cette décision, a reconnu Faure Gnassingbé dans le même entretien. Entre-temps, je me suis retiré […] et nous avons organisé des élections.» Celle de 2005, où il obtient officiellement 60% des voix, se déroule dans un contexte de violence exacerbé : selon un rapport de l’ONU, entre 400 et 500 personnes sont tuées dans la répression généralisée qui s’abat sur les contestataires. En 2010 (61%) puis en 2015 (59%), le laconique Faure Gnassingbé trace sa route, imperturbable en dépit des accusations répétées de fraude électorale.
Bourrages d’urnes et manipulations électorales
L’an dernier, le Président a fait modifier la Constitution pour pouvoir se présenter jusqu’en 2025 (et donc d’être potentiellement au pouvoir jusque 2030). Samedi et dimanche, une fois encore, l’opposition a dénoncé des bourrages d’urnes et des manipulations électorales dans des dizaines de bureaux de votes. Les résultats ont été annoncés dans la nuit de dimanche à lundi, vers 2 heures du matin. Un record de célérité pour le Togo. Selon les chiffres officiels, Faure obtiendrait près de 2 millions de voix, soit un bond de 158% par rapport la dernière présidentielle. Le vieil opposant Jean-Pierre Fabre, leader de l’Alliance nationale pour le changement, s’est effondré, passant de 35% des voix en 2015 à 4%. Même à Lomé, bastion historique de son parti, il a été devancé par Agbéyomé Kodjo, arrivé en seconde position au plan national.
Cet ancien Premier ministre du père Gnassingbé, passé dans l’opposition, a été soutenu tout au long de la campagne par l’archevêque émérite de Lomé, Mgr Kpodzro, doyen du clergé togolais. Crédité de 18% des voix par la Commission électorale nationale indépendante (Céni), il a lancé lundi matin un appel «à défendre la vérité des urnes» dans un message diffusé sur la messagerie WhatsApp en se présentant comme «le président démocratiquement élu de la république togolaise». Les rues de Lomé sont cependant restées «très calmes»dans la matinée, d’après les correspondants de l’AFP.
«A mes adversaires malheureux : c’est le jeu de la démocratie»
«Nous avons constaté des irrégularités sur toute l’étendue du territoire. Nos délégués ont été interdits de pénétrer dans certains bureaux de vote, les communications ont été coupées à plusieurs reprises le jour du scrutin, dénonce Edem Atsou Kwasi, coordinateur général du camp Kodjo, joint par téléphone à Lomé. D’après nos propres remontées, encore incomplètes, notre candidat a recueilli entre 57 et 60% des suffrages.»Pour l’instant, l’opposant n’a cependant pas appelé à des manifestations de protestation. «Nous ne voulons pas que la tragédie de 2005 se répète,poursuit Edem Atsou Kwasi. Le premier souci d’Agbéyomé Kodjo est de préserver la vie des citoyens, il ne veut pas de sang versé inutilement.»
Lundi en fin d’après-midi, Faure Gnassingbé n’avait pas encore prononcé de discours officiel de victoire. En a-t-il seulement besoin ? Le chef de l’Etat, qui a toujours détesté parler en public (il s’est fait violence, au cours de la campagne, pour prendre exceptionnellement quelques bains de foule), est apparu brièvement dans la nuit de dimanche, casquette sur la tête, pour une courte allocution : «La vérité vient d’éclater après l’annonce des résultats qui nous placent loin devant nos adversaires, a-t-il affirmé. A mes adversaires malheureux, je veux dire : c’est le jeu de la démocratie.»A ce jeu-là, la famille Gnassingbé gagne à tous les coups depuis cinquante-trois ans.
Source : Libération
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