On ne peut pas cacher le soleil avec la main. L’Alliance nationale pour le changement (ANC) traverse une crise d’une ampleur inédite depuis sa création en 2010. Avec des démissions et des exclusions en cascade, cette crise affaiblit considérablement le parti « orange » et menace sa survie, à moins d’un sursaut d’orgueil de ses premiers responsables pour sauver les meubles. Face à cette situation, une question demeure : qui pour sauver l’ANC ?
Une hémorragie militante
Depuis plusieurs mois, le parti dirigé par Jean-Pierre Fabre fait face à une véritable hémorragie militante. Chaque semaine, de nouveaux départs sont enregistrés, certains annoncés publiquement, d’autres effectués en toute discrétion. Cette vague de défections porte un coup dur à la force d’opposition que représente l’ANC.
Le parti de Jean-Pierre Fabre, faut-il le rappeler, est le plus structuré et le mieux organisé de l’opposition togolaise, avec une présence affirmée sur tout le territoire national. Une crise en son sein rejaillit inévitablement sur l’ensemble de l’opposition. C’est pourquoi la situation actuelle est scrutée de près, non seulement par les autres partis d’opposition, mais aussi par le pouvoir en place, qui pourrait en tirer profit.
Un leadership remis en cause
Face aux enjeux de cette crise, qui risque de compromettre des décennies de lutte, il appartient au président de l’ANC, dont la gestion est remise en cause par ces démissions, de prendre de la hauteur pour restaurer la cohésion et l’apaisement au sein de la maison « orange ». Si ses détracteurs d’aujourd’hui, ses camarades de lutte d’hier, quittent le navire, c’est qu’un problème sous-jacent existe. Jean-Pierre Fabre doit prouver qu’il est capable de transcender les divisions internes et de réunifier son parti.
L’urgence d’un dialogue interne
Ainsi, face à cette vague de départs et d’exclusions qui dure depuis des années, il revient au président du parti de convoquer un conclave réunissant toutes les sensibilités de l’ANC, y compris ceux qui ont pris leurs distances, pour poser le débat : « Quelle est la cause du problème ? Où va le parti ? Comment y remédier ? ». Une telle rencontre pourrait permettre de clarifier la ligne du parti et d’apaiser les tensions.
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Faute d’avoir entrepris cette démarche, un problème qui aurait pu être circonscrit dans le temps prend aujourd’hui des proportions inquiétantes. Si cette solution n’a pas été adoptée, c’est en partie en raison de la personnalité du président du parti. Jean-Pierre Fabre, connu pour son caractère vindicatif, voire rancunier, a du mal à pardonner, même lorsqu’il feint de le faire. Il perçoit toute critique comme une attaque personnelle.
L’affaire Mgr Kpodzro : un révélateur
Une illustration parfaite de cette attitude est la manière dont il a réagi à ce qu’il considérait comme une offense de Mgr Philippe Fanoko Kpodzro à son égard. Il est allé jusqu’à exiger des excuses publiques de l’octogénaire, une demande mal perçue par l’opinion, car contraire aux valeurs africaines prônant le respect des aînés. Même après le décès du prélat, il n’a pas pardonné et revient sur le sujet dès que l’occasion se présente.
Même si certaines personnes ont fragilisé sa position à un moment donné, Jean-Pierre Fabre doit admettre que la politique est un terrain propice aux coups bas. Celui qui ne veut pas en recevoir ne devrait pas s’y aventurer.
Des incohérences qui alimentent le malaise
Pour Fabre, il n’est pas question de discuter avec ceux qui estiment que la ligne du parti manque de clarté. Ces derniers déplorent des décisions contradictoires, alimentant ainsi le doute et la frustration. Par exemple, ils ne comprennent pas pourquoi le parti a demandé à son représentant à la CENI de démissionner tout en encourageant ses militants à soumettre leurs candidatures pour les démembrements des CELI. Pourquoi exclure certains conseillers pour leur participation aux réunions du conseil régional tout en fermant les yeux sur d’autres ? Pourquoi tous les conseillers municipaux et régionaux ayant participé à l’élection sénatoriale contre l’avis du parti n’ont-ils pas été exclus, y compris dans la majorité communale du Golfe 4, où Jean-Pierre Fabre est maire ? Pourquoi boycotter les élections régionales tout en participant aux locales ?
Ces incohérences nourrissent le malaise et renforcent la désillusion de nombreux adhérents. Pour une frange de militants, l’ANC pratique une politique de « faire une chose et son contraire ».
De plus, certains estiment que la priorité actuelle du président du parti est de conserver son poste de maire, surtout avec la suppression de l’élection présidentielle sous la Vᵉ République. Ces départs massifs pourraient donc s’accélérer à l’approche des élections locales, où chacun cherche à se repositionner politiquement.
Un leadership contesté
Jean-Pierre Fabre est aussi critiqué pour son style de leadership perçu comme intransigeant. Son refus de toute contradiction et sa mémoire longue des offenses passées entravent la dynamique de rassemblement au sein du parti. Il est sous l’influence d’un cercle restreint de fidèles, tels que Pedro Amuzun, Edem Atantsi, Alphonse Kpogo et Mantsi Kwami, qui l’encensent et le glorifient. Tous ceux qui osent lui dire la vérité sont éloignés.
L’ANC à un tournant décisif
Or, aujourd’hui, on ne peut plus diriger un parti politique en refusant la contradiction, en imposant une pensée unique ou en se laissant guider par des rancœurs. C’est en cela que l’ANC joue son avenir dans cette crise. Si elle n’est pas résolue avec discernement et ouverture, des années de lutte et d’espoirs pourraient être anéanties. La balle est désormais dans le camp de Jean-Pierre Fabre : saura-t-il incarner le rassemblement et la cohésion nécessaires pour redonner à l’ANC sa vigueur d’antan ?
Albert AGBEKO
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