Sénat : les récompensés, les réhabilités, les outsiders, les grands absents…

Le Togo vient de faire un pas de plus dans la mise en œuvre des institutions de la Vème République. Après l’élection de 41 sénateurs le 15 février 2025, le Président de la République, Faure Gnassingbé, a nommé par décret ce mercredi 5 mars 2025, 20 sénateurs pour compléter la liste. Ceux-ci (les élus et les nommés) se joindront aux parlementaires en congrès pour élire le Président de la République à la faveur de la suppression du suffrage direct dans la nouvelle constitution.
Récompensés pour service rendu…
Les 20 personnalités nommées par le président de la République ont un profil varié et diversifié. Elles viennent de divers horizons à savoir : politique, associatif, universitaire, judiciaire…
Le fait qui a retenu l’attention dans la liste des nommés est que la parité est respectée. 10 sont de la gente féminine alors que l’autre moitié sont des hommes.
Parmi eux, certains ont sollicité le suffrage des grands électeurs sans succès. Il s’agit de Béléki Adrien Yaovi Akouété de la CPP ou encore Mouhamed Traoré-Tchassona. Ces deux responsables politiques (ont formé une coalition dénommée « Alliance ensemble » avec le Mouvement Lumière pour le Développement dans la Paix (LDP) du dissident de l’ANC, Ouro-Akpo Tchagnao ). Ils se réclament ouvertement de l’opposition mais leurs accointances vis-à-vis du pouvoir ne fait l’ombre d’aucun doute. Au sein du Cadre permanent de concertation (CPC) qu’ils ont eu à présider chacun, ils ont servi de béquille au pouvoir.
N’ayant pas réussi à se faire élire par les grands électeurs, le pouvoir les récompenses pour leur fidélité et leur loyauté.
D’ailleurs, quelques heures avant la fin de la campagne électorale pour cette élection sénatoriale, Mouhamed Traoré-Tchassona n’a-t-il pas vilipendé publiquement ‘’ses camarades’’ de l’opposition pour avoir exigé un certain montant avant de voter pour eux alors que tout le monde sait que le vote par les grands électeurs est l’officialisation de l’achat de vote ce qui est contraire au code électoral ?
Des recalés de la législative réhabilités
Ils ne devraient pas chômer trop. Sanctionnés par les électeurs lors de la dernière législative d’avril 2024, ils vont retrouver leurs sièges au sein de la Chambre haute du parlement à la faveur de leur nomination par le Président de la République. Il s’agit de :
–Séna Alipui, fils d’ancien ministre est né à Paris. « En dépit du lien biologique, les deux hommes n’ont rien à voir. Ils ne partagent pas les mêmes idées », déclarait il y a quelques années Gilchrist Olympio parlant d’Eyadema et de son fils Faure Gnassingbé. La même comparaison peut être faite entre Séna et son géniteur Victor Komla Alipui. Depuis la Conférence nationale souveraine jusqu’à son dernier souffle, l’ancien ministre de l’économie et des finances de 1984 à 1991, s’est battu pour l’alternance au Togo. Quant à son fils, une des grandes vedettes du dernier parlement de la IVème République, l’histoire retiendra qu’il fait partie de ceux qui ont voté la constitution de « contrebande » nuitamment et en catimini. Une constitution qu’il a continuée par défendre sur les médias. Est-ce à juste titre qu’il a été sanctionné par les électeurs comme d’ailleurs tous ceux qui se disaient de l’opposition dans l’ancien parlement. Mais le Président de la République lui offre un retour en grâce.
–Innocent Kagbara, l’autre fils à papa. Il a hérité tout de son papa Bassabi Kagbara (candidat malheureux à la présidentielle de 2010) : la politique et les affaires. C’est son géniteur qui l’a propulsé au-devant de la scène politique. Et depuis qu’il est à la tête du PDP, l’homme qui rêvait faire du canal de Nyekonakpoè, « la Venise togolaise » s’est proclamé centriste avec son ami Gerry Taama avec qui, il a d’ailleurs formé un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Fervent défenseur de la modification constitutionnelle, il a eu un sort meilleur plus que son ami, pour avoir gardé le silence après le vote de la loi modifiant la constitution. Malgré que son parti n’ait pas positionné de candidats pour les premières élections sénatoriales de la Vème République, le fils de « l’homme aux multiples dimensions » n’a pas été oublié par le Président de la République qui vient de le nommer.
– Essokoyo Abass Kaboua, le virevoltant politicien togolais. Il aurait sans doute plus de succès sur une scène théâtrale qu’en politique. Tellement, l’homme affectionne le show médiatique et est coutumier en retournement de veste en fonction de ses intérêts. Connu pour ses retournements de veste spectaculaire, il a fini par déposer les armes et rallier le pouvoir. Il a rendu populaire le dicton : « quelqu’un laisse quelqu’un prend ».
-BALOUKI-LEGUEZIM Essossimna Bernadette, présidente de la Commission des relations extérieures dans l’ancienne législature de l’Assemblée nationale, elle retrouvera le débat parlementaire à la faveur de sa nomination par le président de la République. L’ancienne ministre du commerce avait fait le chou gras dans les tabloïds du pays car son nom a été cité dans l’affaire dite « Petrole-gate ».
Les outsiders
–Kolani Lardja, depuis le retrait de Zarifou Ayéva de la tête du PDR pour raison de santé, Kolani a fait de cette formation politique son fonds de commerce. Il a été de toutes les négociations ou discussions politiques pour le compte de l’ancienne opposition dite traditionnelle et plus tard comme un parti satellitaire du pouvoir. Sa nomination n’est pas une surprise. A l’UNIR, on sait remercier les fidèles.
–Joseph Kokou Koffigoh, la prononciation de son seul nom pouvait soulever des foules et nourrir des passions au début du processus démocratique tellement il a nourri l’espoir d’un lendemain meilleur pour le Togo. Mais, hélas… L’homme est devenu aujourd’hui l’ombre de lui-même. On le voit partout inaugurant les chrysanthèmes d’un pouvoir qu’il avait pourtant combattu et qui a failli le tuer un 3 décembre 1991.
– Inoussa BOURAÏMA, c’est l’inamovible président de l’Union musulmane du Togo (UMT). Après avoir occupé successivement le ministère du Tourisme et de l’environnement en 1991 ensuite celui de la Défense du 12 février 1993 au 25 mai 1994, BOURAÏMA a capté en 2007 l’UMT qu’il a transformé en aile marchande du parti au pouvoir. Espérons qu’avec sa nomination au sénat, il pourra abandonner la présidence de la plus grande institution des musulmans du Togo et qu’une nouvelle ère pourra s’ouvrir pour l’UMT.
– Kafui KPEGBA, première femme élue députée dans le parlement de 1994 pour le compte de l’UTD d’Edem Kodjo, Mme Kpegba a suscité l’intérêt auprès de la jeune fille pour la chose publique. Mais très rapidement, elle s’est retirée du débat politique pour se consacrer à ses activités académiques. La 2ème Vice-présidente de l’Université de Lomé, retrouvera le débat parlementaire trois décennies après.
– DANGBUIE Afi Xolali Pascaline, de tous les nommés par le président de la République, certainement que la présence de cette dame dans la liste aurait surpris plus d’un. Une parfaite inconnue à part son engagement dans le monde associatif au niveau du marché d’Adidogomé, personne n’aurait parié sur son nom.


Le sénat en action
La transition amorcée par le Togo depuis mai 2024 aborde son dernier virage. Il ne reste plus que 60 jours. Plus de temps à perdre. C’est ainsi que conformément à la nouvelle Constitution qui stipule que le sénat se réunit en session de droit le deuxième jeudi après la publication des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, le président de la République s’est empressé à nommer à la veille de l’expiration du délai, le 1/3 des membres du sénat qui vont compléter la liste des élus pour se réunir ce jeudi 6 mars 2025 sur la présidence du doyen d’âge.
Un doyen d’âge de l’ancien temps…
« Le doyen d’âge du Sénat convoque les sénateurs pour l’ouverture de la session de droit, ce jeudi 06 mars 2025 à 15 heures au palais des congrès de Lomé ». C’est par ce communiqué partagé ce matin sur les réseaux sociaux, moins de 24 heures après que la liste complète des sénateurs a été dévoilée qui invite ces derniers à la session inaugurale.
De toute vraisemblance, cette session sera dirigée par Dogo Koudjolou. Ancien Ministre du plan, du développement industriel, et de la réforme administrative, dans le gouvernement du 24 juillet 1978. A 87 ans, M. Dogo a été élu dans la circonscription de la Binah pour le compte de UNIR.

Il rentrera dans l’histoire comme le premier président du bureau d’âge de la première assemblée sénatoriale togolaise. Il sera secondé par le plus jeune sénateur, Fiacre Atsou du parti politique BATIR. Ce bureau d’âge aura pour mission d’adopter le règlement intérieur de l’institution et élire un bureau définitif.
Le casse-tête du siège du sénat
Contrairement aux députés qui délibèrent au siège de l’Assemblée nationale sis à Lomé 2, le Sénat est convoqué au Palais des congrès de Lomé qui a fait peau neuve.
Si le régime décline sa feuille de route qui le conduit vers la Vème République. Ce processus fait apparaitre l’un des tares du régime qui est l’absence d’infrastructure adéquats pour accueillir les institutions de la République. Si pour mettre en place les gouverneurs dans les régions, les préfets dans les chefs-lieux de préfectures ont été priés vider les lieux, l’installation de la seconde chambre du parlement n’est pas sans poser de problème.
Il faut trouver un nouveau siège au sénat avec tout ce qui va avec comme service administratif. En attendant qu’un nouveau siège ne soit construit pour le sénat, les sénateurs devront siéger au palais des congrès qui était l’ancien siège de l’Assemblée nationale.
L’autre défi à gérer par la nouvelle configuration est la tenue des sessions en congrès des deux chambres du parlement. Quelle salle va accueillir les 174 parlementaires à savoir les 113 députés et les 61 sénateurs sans compter les invités au rang desquels des ministres, les présidents des institutions de la République, les diplomates…
Le siège de l’Assemblée nationale malgré le caractère grandiose de l’édifice ne dispose pas de salle de plénière à la mesure de l’architecture.
Les grands absents
Alors que la Vème République se met en place, il est à noter qu’un grand acteur qui a été au premier plan de ce processus a disparu des radars. De tous les partis politiques au parlement au moment du vote de la « constitution de contrebande », le NET est le seul qui a été gommé. Alors que tous les acteurs de l’époque, ceux qui n’ont pas été élu, ont fait fantôme pour se retrouver au sénat, Gerry Ta’ama ne figure nulle part. Il paie le prix de son incohérence et de sa volte-face. Après avoir voté le projet de modification constitutionnelle, sous pression de l’opinion, le NET est revenu pour dire qu’il ne s’est pas associé à l’initiative. Une sortie qui n’a pas été appréciée par les tenants de la modification. Il leur a fait perdre du temps et de l’argent les obligeant à faire une tournée nationale d’explication du projet, ce qui n’était pas dans l’agenda. A UNIR on ne tolère pas la trahison. Et Gerry Ta’ama le paie cash.
Conséquence, le robinet lui est coupé. Finalement, il est dépossédé de son parti et se retrouve contraint de se convertir dans la menuiserie.
De tous les partis politiques dit de l’opposition qui ont fait un jeu de phare ces derniers temps en direction du pouvoir, le CAR est probablement le seul à n’avoir pas gain de cause.
Avec la résurgence de la politique de co-gestion, la nouvelle direction du parti de l’ex bâtonnier du Togo, exprimait à peine voiler sa volonté à collaborer avec le pouvoir. Mais alors comment peut-on expliquer que le parti n’a pas eu un siège là où mêmes les indépendants sans base ont réussi à faire plein de voix.
Avec ces nominations, la transition togolaise prend un tournant décisif. Reste à voir comment cette nouvelle configuration influencera la vie politique du pays. C’est le wait and see…
Albert AGBEKO
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