Devoir de mémoire: 5 mai 1992 attentat de Soudou

Après le départ de Gilchrist Olympio et de sa délégation, une fusillade éclate. On compte un mort et quatre blessés. Ce jour, avant les événements, des témoins auraient remarqué la présence d’un véhicule à bord duquel circulait le capitaine Ernest Gnassingbé, fils d’Eyadéma.

Ce même après-midi, le convoi de l’UFC de retour de Bassar, a échappé à une tentative d’attentat. Des militaires armés se seraient positionnés dans une teckeraie. Cette opération a avorté. Pour les militaires, ce n’est que partie remise.

Le lundi 4 mai, Gilchrist Olympio et ses compagnons passent la nuit à l’Hôtel Kédia à Sokodé. Le Premier ministre Koffigoh avec une partie de son cabinet se trouvait aussi dans la ville, mais à l’Hôtel Central.
Le mardi 5 mai, il pleut sur la ville de Sokodé et dans toute la région. Ce qui perturbe quelque peu le programme des meetings. Mais en fin de matinée le convoi des véhicules de l’UFC s’ébranle de Sokodé en direction de Bafilo. Le convoi est précédé de quelques minutes par un véhicule de sécurité avec à son bord deux hommes. Au total, sept véhicules, qui tomberont dans une embuscade entre Bafilo et Soudou.
Sur la route vers 12 heures, le convoi est attaqué. A quelque 200 mètres après avoir franchi le pont de la rivière Sarah, une bombe explose devant la Nissan Patrol de Gilchrist Olympio. Les véhicules précédant la Patrol n’ont pas été inquiétés. « Aussitôt après l’explosion, les trois derniers véhicules du convoi : le 4×4 Nissan à bord duquel se trouvent Gilchrist Olympio et le Docteur Atidépé, le 4×4 Mitsubishi et la Peugeot-404 sont pris sous un tir nourri que les témoins identifient comme celui d’armes automatiques. »
Patrick Lawson, un rescapé, raconte : « Embusqués derrière un bois, nos assaillants ont tranquillement laissé passer les véhicules en tête du cortège avant d’ouvrir le feu. En immobilisant la voiture qui précédait la Nissan Patrol de Gil, ils étaient assurés d’avoir une cible statique. Devant le barrage de tirs, notre véhicule est tombé dans un ravin. Même avec les pneus-avant crevés, notre chauffeur a continué de rouler jusqu’au village de Soudou (préfecture d’Assoli), où nous devions tenir un meeting régulièrement autorisé. »
Gilchrist Olympio est atteint au poumon et à la hanche de plusieurs balles explosives. Patrick Lawson et le chauffeur de la Nissan Patrol, quoique tous les deux blessés réalisent qu’il faut immédiatement quitter les lieux. Un habitant de la région leur affirme qu’il est possible de se rendre rapidement au Bénin. Il leur indique le chemin. La piste est impraticable, mais ils n’ont guère le choix. Selon le rapport de la FIDH sur cet événement : « Aussitôt après l’attentat les différents véhicules sont rassemblés sur la place de Gandé, quelques kilomètres plus loin. Le véhicule Nissan dans lequel avaient pris place Gilchrist Olympio et le Docteur Atidépé est abandonné là après que ceux-ci, le premier gravement blessé, le second déjà mort, avaient été transportés dans un autre véhicule au Bénin. »
Gilchrist Olympio sera opéré une première fois à Natitingou (Bénin). C’est un Grumman spécial de la présidence ivoirienne qui le transportera ensuite à Paris pour des soins à l’hôpital du Val-de-Grâce.

La suite sera une affaire de dures et multiples opérations chirurgicales pour G. Olympio. Quant à Marc Atidépé, le 10 juillet, jour de ses obsèques, un attentat à la grenade causera des dégâts matériels et provoquera un incendie à la Chambre des députés où devait être exposée sa dépouille mortelle. Les enquêteurs de la Commission internationale diligentée par la FIDH (8 au 13 juin 1992), au terme d’un rapport concluent :
« Que l’attentat du 5 mai 1992 survenu vers 12 heures sur la route de Bafilo à Soudou qui fit plusieurs morts parmi lesquels le Docteur Atidépé et plusieurs blessés parmi lesquels Gilchrist Olympio a vraisemblablement été préparé et exécuté par des militaires […] Que la liberté de mouvement et l’autonomie d’action laissée au capitaine Ernest Gnassingbé permettent à celui-ci de se livrer à un activisme incompatible avec son statut militaire. »
Après avoir donné son accord à la venue au Togo de la Commission internationale d’enquête, le président Eyadéma va tenter d’aiguiller l’enquête en proposant un collaborateur pour les recherches. La Commission de la FIDH déclinera l’offre.
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Une vive polémique entre le RPT et l’Opposition, suivra au sujet des commanditaires de l’attentat et de la provenance des armes utilisées. Le Secrétaire général du RPT, M. Amédégnato, ouvrira le débat sur RFI :
M. Amédégnato : « Ni l’armée togolaise ni le Général d’Armée Eyadéma, ne sont pour rien dans l’attentat contre Gilchrist Olympio. »
J.-L. Aplogan : – On a dit que ce serait du matériel de guerre qu’on a utilisé…
M. Amédégnato : – Les opposants aussi ont du matériel de guerre. Il n’y a qu’à le vérifier chez M. Edem Kodjo ; il a beaucoup de matériel de guerre. Même Olympio avait du matériel de guerre. Il n’y a pas que l’armée qui a du matériel de guerre ! »
L’opposition proteste. Dans l’après-midi, six partis politiques expriment leur indignation en publiant un document. Aux accusations de l’ancien parti unique, répondra le leader de la CDPA, L. Gnininvi. Il pense que le « RPT est mal placé pour incriminer l’opposition dans cette affaire ». Et d’ajouter : « Nous savons depuis un certain nombre de jours, que les leaders de l’opposition sont en danger ; les rumeurs circulent, les listes actualisées sortent tous les jours. »
Cet attentat restera pendant longtemps au sein de l’opinion publique, une source d’interrogations diverses au sujet de la coopération militaire de la France avec ses néo-colonies africaines. Un lecteur de JA s’indigne, sous la rubrique Vous & Nous. Dans une intervention titrée : Togo : le service après-vente, le lecteur invite le Ministre français de la Défense, à un réaménagement de la coopération militaire avec les pays africains. Et le lecteur de conclure : « Au lieu de prodiguer des soins dans des hôpitaux parisiens à des hommes massacrés par des militaires entraînés à travers la coopération, ne serait-il pas judicieux de la part de la France, d’aider les autorités de la Transition à désarmer la soldatesque d’Eyadéma ? »
Le Premier ministre va s’illustrer, en prenant partie pour la première fois ouvertement en faveur de Gnassingbé Eyadéma dans la polémique au sujet des armes de guerre. Son Gouvernement d’Union Nationale de Transition (GUNT) va proposer après l’attentat de Soudou, une trêve de quelques mois, destinée à ramener la sécurité. Ce que rejetteront les partis politiques de l’opposition, à l’instar du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR). Ce dernier avait d’ailleurs dénoncé violemment l’accord entre Eyadéma et Koffigoh, accord instituant le « Nouveau Contrat social ». En revanche, les syndicats répondront peu ou prou favorablement à l’appel du Premier ministre, à la reprise du travail. Mais le travail sera de nouveau interrompu, car un nouvel attentat viendra secouer le monde politique togolais et l’opinion publique internationale en ce mois de juillet 1992 ; deux mois à peine après l’attentat de Soudou.
Après les conclusions de la FIDH, l’armée a décliné toute responsabilité dans le crime de Soudou. Dans une mise au point datée du 18 juillet 1992, elle déclare dans le quotidien officiel : « Les FAT n’ont pris aucune part à l’attentat de Soudou […] les FAT rejettent catégoriquement toutes les conclusions de la commission d’enquête internationale en ce qu’elles sont partisanes, fantaisistes et dénuées d’objectivité. »
Moins d’une semaine après la publication de ce communiqué de protestations énergiques des FAT, un jeune leader du camp démocrate est victime d’un attentat. Il s’appelait Tavio Amorin. Il est atteint de plusieurs balles d’armes automatiques un soir de juillet dans un quartier-nord de Lomé.
Source : Têtêvi Godwin Tété-Adjalogo, 1998, « Démocratisation à la togolaise »
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