Kako Nubukpo, économiste et ancien ministre togolais : « En Afrique, le poids croissant de la jeunesse va faire chuter tous les régimes que l’on dit forts »
Dans une récente interview accordée au Monde, l’économiste et ancien ministre togolais Kako Nubukpo analyse les bouleversements qui secouent l’Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest. Il met en lumière l’impact déterminant de la jeunesse dans un contexte marqué par des crises politiques, économiques et sociales. À travers son dernier ouvrage, L’Afrique et le reste du monde. De la dépendance à la souveraineté (Odile Jacob, 2023), Nubukpo explore les défis et les opportunités que représente ce réservoir démographique inégalé, tout en dénonçant les modèles économiques dominants et en plaidant pour une alternative basée sur les “communs”.
Un poids démographique décisif
Selon Kako Nubukpo, la montée en puissance de la jeunesse africaine est un facteur incontournable pour comprendre les récents bouleversements politiques, tels que les coups d’État en Afrique de l’Ouest. Ces événements, estime-t-il, sont à la fois une réponse à l’échec des élites à créer la prospérité et une “revanche par procuration” pour des millions de jeunes désabusés.
La démographie est au cœur de cette analyse : avec une population qui devrait doubler d’ici 2050, le continent est confronté à une explosion de la jeunesse. Mais en l’absence de perspectives économiques et de discours politiques mobilisateurs, ce dynamisme démographique menace de devenir une bombe à retardement. “Ces régimes dits forts sont en réalité fragiles face à ce poids croissant de la jeunesse”, affirme-t-il.
Une critique acerbe du modèle néolibéral
L’économiste n’épargne pas le système néolibéral, qu’il accuse d’avoir échoué en Afrique. Il pointe notamment du doigt deux principes fondamentaux – la flexibilité des prix et la mobilité des facteurs de production – qui, selon lui, ne fonctionnent pas dans un continent où les monopoles faussent la concurrence et où les visas limitent la mobilité du travail.
En réponse, Nubukpo défend un “protectionnisme écologique” et un “juste échange”, prônant la transformation locale des matières premières pour créer de la richesse et des emplois. Il critique aussi l’extractivisme qui accompagne la transition énergétique mondiale, lequel perpétue, selon lui, le pillage des ressources africaines.
L’urgence d’une troisième voie : les communs
Face à la double défaillance des États africains et des marchés, Nubukpo propose une alternative inspirée de la “théorie des communs” d’Elinor Ostrom. Ce modèle valorise la gestion collective des ressources par les communautés locales, une approche qu’il juge pertinente pour résoudre des conflits tels que ceux liés à la transhumance en Afrique de l’Ouest.
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Ce mode de production alternatif pourrait offrir des solutions concrètes dans des secteurs cruciaux comme l’agriculture ou la gestion des ressources naturelles. Cependant, il reconnaît que cette vision reste marginale dans les débats actuels. “Ce qui a été essayé jusqu’à présent n’a pas marché. Il est donc temps d’essayer autre chose”, insiste-t-il.
Un appel à repenser les relations avec l’Europe
Enfin, Kako Nubukpo critique le désengagement progressif des Européens, à commencer par la réduction de l’aide au développement. Selon lui, cette politique est contre-productive, alors que des investissements dans le développement pourraient offrir une alternative durable à la gestion migratoire et au désespoir économique.
Concernant la France, il déplore une relation marquée par un manque de vision stratégique. “Les dirigeants français n’ont pas fait la prospective de l’Afrique”, regrette-t-il, tout en appelant à assumer le passé commun pour construire un partenariat équitable.
Un réveil africain incontournable
Dans un continent en pleine transformation, Kako Nubukpo appelle à une prise de conscience urgente des élites africaines et des partenaires internationaux. La jeunesse africaine, loin d’être une menace, pourrait devenir le moteur d’une renaissance, à condition que soient mises en place des politiques qui répondent à ses aspirations. “L’Afrique doit définir sa propre voie”, conclut-il, rejetant à la fois les modèles néolibéraux imposés de l’extérieur et les discours de repli panafricanistes.