Les Etats-Unis bombardent les installations nucléaires en Iran : Donald Trump annonce «une attaque très réussie»

Le président américain a communiqué dans la nuit de samedi à dimanche que les forces américaines avaient conduit des frappes contre trois sites d’enrichissement, engageant ainsi son pays au côté d’Israël dans une guerre contre l’Iran.
Après des jours à mettre en scène son hésitation, Donald Trump n’a finalement pas attendu les deux semaines qu’il s’était lui-même fixées pour mener à exécution la menace de frapper les installations d’enrichissement nucléaire de l’Iran, en vue de les anéantir. Aux premières heures de ce dimanche 22 juin, le président américain a communiqué via son réseau Truth Social que les forces militaires de son pays avaient «mené à bien une attaque très réussie sur les trois sites nucléaires en Iran, notamment Fordo, Natanz et Ispahan», précisant qu’«une pleine charge de bombes a été larguée sur le site principal, Fordo», à environ 150 kilomètres au sud de Téhéran, par des bombardiers furtifs B-2 – fleurons de l’Air Force américaine, capables de porter près de 30 tonnes de munitions explosives.

Le chef de l’Etat américain, qui était rentré à Washington samedi pour prendre part à un conseil de sécurité nationale dans le Bureau ovale, s’est ensuite exprimé depuis la Maison Blanche, flanqué de son vice-président JD Vance, du chef de la diplomatie Marco Rubio, et du patron du Pentagone, Pete Hegseth. Dans un discours qu’il voulait d’une solennité plus dure et défiante que jamais, mais très laborieusement ânonné depuis son prompteur – jusqu’à son remerciement final à «Dieu, en particulier – nous vous aimons, Dieu» –, Trump a qualifié l’opération de «succès militaire spectaculaire», affirmant que les «principales installations d’enrichissement nucléaire de l’Iran ont été complètement et totalement éradiquées». Un bilan à l’évidence prématuré, dont de nombreux experts et hauts responsables étrangers, y compris israéliens, soulignent qu’il est impossible à établir dès à présent.

Pour l’Iran, «la paix ou la tragédie»
Après avoir également remercié et félicité «le Premier ministre Bibi Nétanyahou», avec qui les Etats-Unis ont «travaillé en équipe comme peut-être aucune équipe n’a jamais travaillé auparavant», il a souligné «l’excellent travail» de l’armée israélienne et célébré «les grands patriotes américains qui ont piloté ces machines magnifiques ce [samedi] soir et toute l’armée des Etats-Unis pour une opération dont le monde n’a pas vu l’équivalent depuis de nombreuses, nombreuses décennies». «Il n’y a aucune armée au monde qui aurait pu faire ce que nous avons fait ce soir», s’est flatté celui dont la reconversion tardive en politique s’était édifiée sur la critique virulente des guerres sans fin menées par ses prédécesseurs à la Maison Blanche.
En frappant l’Iran, Donald Trump dynamite sa propre doctrine
Puis, il s’est fait menaçant, appelant la république islamique à choisir «la paix» plutôt que «la tragédie, bien plus grande encore que ce que nous avons vu au cours des huit derniers jours». «La cible de ce soir était la plus difficile de toutes, mais il en reste de nombreuses», selon Trump. «Et si la paix ne vient pas rapidement, nous nous attaquerons à ces autres cibles avec précision, rapidité et habileté – la plupart d’entre elles peuvent être éliminées en quelques minutes», a encore insisté le président américain.
Il faut sans doute entendre là une allusion à son appel à la «capitulation inconditionnelle» de la république islamique diffusé mardi 17 juin sur les réseaux, dans une salve de messages où il assurait que les Etats-Unis savaient où «se cache» le Guide suprême iranien Ali Khamenei : «C’est une cible facile, mais il est sauf : nous n’allons pas l’éliminer (le tuer !), du moins pas pour l’instant», assurait-il alors. Dans un post publié peu après son adresse à la nation, prononcée sans prendre de questions des médias, il agitera la menace de frapper encore l’Iran, «avec une force bien plus grande que ce [samedi] soir», en cas de riposte.
«L’HEURE DE LA PAIX A SONNÉ !», avait déjà clamé Donald Trump dans sa communication initiale annonçant les frappes, comme s’il lui appartenait de décréter ainsi seul la fin de l’histoire. Tout indique pourtant qu’en s’engageant dans ce pari à très haut risque, il pourrait vite précipiter les Etats-Unis dans une redite de ces conflits lointains contre lesquels il avait fait campagne. Et en emboîtant ainsi le pas d’Israël dans sa guerre ouverte engagée contre l’Iran depuis huit jours pour en parachever le triomphe militaire – au prix, déjà, de centaines de victimes civiles –, il abîme un peu plus encore le Moyen-Orient dans le vertige d’un bouleversement aussi profond que chaotique de ses rapports de force et équilibres. Près de 40 000 troupes américaines se trouvent actuellement stationnées dans la région, et susceptibles d’être prises pour cibles des éventuelles représailles à venir de la république islamique, aussi affaiblie soit-elle, ou de ses relais.
«Une dangereuse escalade»
Selon CNN, les Etats-Unis auraient fait passer aux autorités iraniennes le message, par les voies de la diplomatie informelle, que les frappes contre les installations nucléaires du pays seraient restreintes et qu’aucune autre n’était à ce stade prévue. Dans une toute première réaction officielle du régime iranien, le ministre des Affaire étrangères, Seyed Abbas Araghchi, s’est indigné d’«une grave violation de la charte des Nations unies, du droit international et du [traité de non-prolifération nucléaire] en attaquant les installations nucléaires pacifiques de l’Iran».
«Les événements de ce matin sont scandaleux et auront des conséquences durables, a-t-il poursuivi. Chaque membre de l’ONU doit s’alarmer de ce comportement extrêmement dangereux, illégal et criminel. Conformément à la charte des Nations unies et à ses dispositions autorisant une réponse légitime en cas de légitime défense, l’Iran se réserve toutes les options pour défendre sa souveraineté, ses intérêts et son peuple.»
Dans un communiqué, l’Organisation iranienne de l’énergie atomique avait confirmé que les installations de Fordo, Natanz et Ispahan avaient été attaquées, dénonçant «une violation du droit international, en particulier du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)», avant d’annoncer des recours à venir contre les Etats-Unis devant les instances internationales et la poursuite du programme nucléaire iranien. Les médias d’Etat de la république islamique ont par ailleurs fait savoir qu’il n’y aurait aucune inquiétude des autorités quant à une fuite radioactive causée par l’attaque des sites d’enrichissement d’uranium.
Donald Trump s’est entretenu avec le Premier ministre Benyamin Nétanyahou après les frappes, a communiqué la Maison Blanche aux médias américains, ajoutant que les autorités israéliennes avaient été prévenues peu avant que les bombes ne soient larguées. Dans une déclaration enregistrée, diffusée par les médias locaux et sur les réseaux, Nétanyahou a déployé un généreux bouquet de louanges pour féliciter Trump de «sa décision audacieuse de cibler les installations nucléaires iraniennes», accomplissant ainsi «ce qu’aucun autre pays sur Terre ne pouvait faire. L’histoire retiendra que le président Trump a agi pour priver le régime le plus dangereux du monde des armes les plus dangereuses du monde.»
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est en revanche dit «gravement alarmé par le recours à la force des Etats-Unis contre l’Iran aujourd’hui» : «Il s’agit d’une dangereuse escalade dans une région déjà sur la corde raide, et une menace directe pour la paix et la sécurité internationales», s’est-il inquiété dans un post sur X (ex-Twitter), évoquant «un risque croissant que ce conflit échappe rapidement à tout contrôle, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour les civils, la région et le monde.»
«Une guerre qui pourrait nous prendre au piège pour des générations»
Aux Etats-Unis, les plus récentes études du sentiment populaire vis-à-vis d’une implication directe des Etats-Unis dans le conflit israélo-iranien indiquent une adhésion extrêmement marginale au sein de l’opinion. Selon un sondage YouGov réalisé mi-juin pour The Economist, seuls 16 % des Américains auraient souhaité voir cette hypothèse se réaliser, quand 60 % des personnes interrogées disaient y être opposées. Plus spécifiquement parmi les électeurs de Trump, ils n’étaient guère plus que 19 % à s’y dire favorables.
Du côté du Congrès, auquel la Constitution américaine réserve en théorie le pouvoir d’engager ou non les Etats-Unis dans une guerre, les premières réactions après l’annonce des frappes se sont avérées fidèles aux lignes partisanes prévisibles. Les dirigeants républicains, le «speaker» Mike Johnson et le leader de la majorité conservatrice au Sénat, John Thune – tous deux brièvement informés avant l’opération –, ont rapidement fait savoir leur soutien au Président, saluant une action «nécessaire» face aux «ambitions nucléaires» de l’Iran. «Le régime iranien, qui s’est engagé à apporter “la mort à l’Amérique“ et à rayer Israël de la carte, a rejeté toutes les voies diplomatiques vers la paix», a justifié Thune.
A l’inverse, l’opposition dénonce un acte «anticonstitutionnel» et «imprudent», par la voix notamment de Hakeem Jeffries, leader de la minorité démocrate à la Chambre des représentants. Ce dernier a accusé Trump d’avoir «trompé le pays sur ses intentions» et d’avoir «failli à obtenir l’autorisation [préalable] du Congrès», tandis que Jim Himes, éminent membre de la commission Renseignement à la chambre basse, déplore une «violation claire de la Constitution» risquant d’entraîner les Etats-Unis dans «une guerre potentiellement désastreuse au Moyen-Orient». Alexandria Ocasio-Cortez, sa collègue new-yorkaise et porte-voix des progressistes à Washington, a quant à elle jugé que cette décision «désastreuse» et prise «impulsivement», de «lancer une guerre qui pourrait nous piéger pour des générations», constituait «absolument et clairement un motif de procédure de destitution». Un appel de pure forme, puisque les élus républicains, presque uniformément inféodés à l’exécutif trumpien, contrôlent aujourd’hui les deux chambres de l’appareil législatif à Washington.
Une opération «mûrie et répétée depuis des années»
Selon des officiels américains cités anonymement par le New York Times, l’opération a mobilisé sept bombardiers B-2 Spirit partis du Missouri pour un vol de trente-sept heures sans escale, avec plusieurs ravitaillements en vol. Ces appareils ont largué sur Fordo douze bombes «anti-bunker» GBU-57, un type de munitions explosives à très forte perforation, marquant la première utilisation au combat de ces munitions spécialement conçues pour détruire des installations souterraines fortifiées. Des sous-marins américains ont complété l’attaque en tirant 30 missiles de croisière TLAM sur les sites de Natanz et d’Ispahan.
Ancien haut responsable de missions relatives au Moyen-Orient sous les administrations de George W. Bush, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden, Brett McGurk a exposé sur CNN qu’une telle opération avait été «mûrie et répétée depuis des années, au cas où nous devrions en venir là», mobilisant «pour la toute première fois» certaines spécificités de l’arsenal américain conçues depuis deux décennies précisément dans l’optique de pouvoir détruire des cibles aussi profondément enfouies que l’est le site de Fordo sous les montagnes iraniennes. «Cette option s’est transmise d’une présidence à l’autre, avec l’espoir qu’elle n’aurait pas à servir, a-t-il rappelé. Et aujourd’hui, c’est arrivé.»
Source : Libération