Aného face à la mer dévorante : une cité historique en sursis

Aného, l’ancienne capitale coloniale allemande du Togo, berceau de la culture guin, lutte désespérément contre l’océan Atlantique qui grignote inexorablement ses rivages. À 45 km à l’est de Lomé, cette perle côtière voit son littoral disparaître à un rythme alarmant, emportant avec lui des siècles d’histoire et menaçant la survie même de ses habitants.

La mer qui avance, la terre qui recule
Les chiffres du Programme de Gestion du Littoral Ouest-Africain (WACA) sont sans appel : chaque année, le Togo perd entre 5 et 10 mètres de côte, avec des pointes à 30 mètres dans la région d’Aného. Trois facteurs principaux accélèrent cette érosion dramatique. L’extraction effrénée de sable pour les besoins de construction prive les plages de leur bouclier naturel. La construction du port de pêche à Lomé. Les barrages hydroélectriques ghanéens sur le fleuve Volta réduisent de 40% l’apport en sédiments. Enfin, l’élévation du niveau de la mer, estimée à +3,6 mm/an par le GIEC, vient aggraver le phénomène.

Dans le quartier d’Avétozoun, la réalité est tangible : là où les maisons se dressaient à 200 mètres du rivage il y a quelques années, les vagues viennent maintenant lécher les dernières habitations. « L’océan a avalé mon jardin, bientôt il prendra ma maison« , soupire Kossi Amétépé, pêcheur depuis trois décennies.
Une agonie aux multiples visages
Les ravages de l’érosion côtière frappent Aného de plein fouet. Le cimetière colonial allemand, joyau patrimonial classé, a déjà perdu quinze tombes englouties par les flots. Plus de deux cents familles ont dû être relogées entre 2018 et 2023, chassées par une mer devenue envahissante. L’économie locale, traditionnellement tournée vers la pêche, s’effondre avec une baisse de 30% des activités halieutiques en dix ans, faute de zones de débarquement encore praticables.
« Nous assistons impuissants à la disparition programmée de notre ville », déplore Alexis Aquereburu, le maire d’Aného. « Sans intervention massive, Aného pourrait n’être plus qu’un souvenir d’ici 2050. »
L’espoir malgré tout
Face à ce péril, des solutions émergent péniblement. Quinze épis en enrochement, financés à hauteur de 2,5 milliards FCFA par la Banque Mondiale, ont permis de stabiliser 3 km de côte. Le projet WACA a conduit au reboisement de 50 hectares de mangroves et à la formation de 200 pêcheurs aux techniques durables. Une digue de protection longue de 1,2 km, d’un coût de 4 milliards FCFA, protège désormais 5 000 habitants des assauts de l’océan.
Pourtant, le combat semble inégal. Chaque kilomètre de digue supplémentaire coûte 3 milliards FCFA, une somme colossale pour la municipalité. La population côtière, qui a doublé en vingt ans, accroît la pression sur un littoral déjà vulnérable. Et le phénomène dépasse les frontières : « L’érosion côtière est un défi régional qui nécessite une réponse concertée entre le Togo, le Bénin et le Ghana« , souligne le professeur Komi Assignon, spécialiste en géomorphologie côtière à l’Université de Lomé.
Le compte à rebours est enclenché
Aného incarne le drame silencieux des villes côtières africaines confrontées à la double menace du changement climatique et de l’activité humaine. Chaque année qui passe rapproche un peu plus cette cité historique de son possible engloutissement. « Nos ancêtres ont bâti leur vie ici, face à la mer« , murmure un vieux pêcheur en contemplant l’horizon. « Aujourd’hui, c’est cette même mer qui nous chasse. Où irons-nous ? »
Yaovi AGBEGNIGAN
E-Mail: togoscoop@gmail.com
Tél : (00228) 90 96 63 64/ 99 56 57 88 : Pour vos reportages, annonces et publicité, contacter le service commercial de votre site Togoscoop.