Devoir de mémoire : il y a 20 ans la démocratie togolaise étouffée dans les urnes

La dévotion monarchique dans la succession, à la suite du décès le 5 février 2005 du Général Gnassingbé Eyadéma — qui a régné d’une main de fer sur le Togo — a exacerbé les tensions dans le pays. D’un côté, ceux qui croyaient fermement que ce décès ouvrirait enfin la voie à une alternance démocratique au sommet de l’État ; de l’autre, les partisans du statu quo, farouchement attachés à la continuité du régime.

C’est dans cette atmosphère de tension extrême que la communauté internationale a poussé les deux camps vers des élections présidentielles anticipées. D’un côté, Essozimna Gnassingbé Faure, fils du défunt président, soutenu par l’ancien parti unique, le RPT ; de l’autre, Bob Akakpovi Emmanuel Akitani, candidat d’une large coalition de l’opposition. Le peuple togolais était appelé à départager ces deux visions du pays.

Le 24 avril 2005, une fine pluie s’est abattue sur l’ensemble du territoire national, sans pour autant décourager les électeurs. Massivement, les Togolais se sont rendus aux urnes pour choisir leur nouveau président. Dès l’ouverture des bureaux de vote à 6h30, malgré quelques retards liés à des problèmes d’organisation, l’affluence a été notable.
Le scrutin, qui s’est globalement déroulé dans le calme en matinée, a néanmoins été entaché de tentatives de fraude : bourrages d’urnes, achats de voix, électeurs en possession de multiples cartes. La situation a dégénéré en fin de journée, notamment lors de la fermeture des bureaux de vote.
Alors que la population souhaitait assister au dépouillement — comme le lui permet le code électoral — elle a été violemment expulsée des centres de vote par les forces de l’ordre. À certains endroits, des affrontements ont éclaté lorsque celles-ci ont tenté d’emporter les urnes. À Bè, par exemple, un agent en uniforme a été filmé s’enfuyant avec une urne à la main et une arme au poing — une image devenue virale. Dans d’autres localités acquises à l’opposition, des bulletins ont été incendiés.
Face à ces entraves manifestes au droit de vote, des barricades ont été érigées dans les rues de Lomé, désertées par la jeunesse insurgée. L’armée a riposté avec une violence extrême, ouvrant le feu à balles réelles sur la foule, notamment à Bè, où l’on a déploré au moins trois morts et plus de vingt blessés.
Le quartier général de l’opposition, censé centraliser les résultats transmis par ses délégués, a été saccagé par des individus non identifiés. Les violences ont également touché l’intérieur du pays. Aného, et surtout Atakpamé, dans la région des Plateaux, ont été le théâtre d’exactions brutales commises par une milice proche du pouvoir. Selon un rapport de l’ONU, près de 500 personnes ont trouvé la mort entre le 5 février et le 5 mai 2005. La Ligue togolaise des droits de l’Homme (LTDH) avance quant à elle un bilan de près de 1 000 morts.
Malgré ces graves irrégularités, la présidente de la CENI, le professeur Kissèm Tchangaï Walla, a proclamé la victoire de Faure Gnassingbé avec 60,22 % des voix, contre 38,19 % pour Bob Akitani, candidat de la coalition des six partis. Harry Olympio du RSDD a, quant à lui, recueilli 0,55 % des suffrages.
À la veille de l’annonce des résultats, Faure Gnassingbé et Gilchrist Olympio, leader de l’opposition, se sont rencontrés à Abuja, chez le président en exercice de l’Union africaine, Olusegun Obasanjo. À l’issue de leur échange, ce dernier a affirmé que les deux hommes s’étaient engagés à reconnaître la victoire du gagnant et à former un gouvernement d’union nationale chargé de réviser les textes fondamentaux du pays.
Malgré les nombreuses irrégularités et la violence ayant entaché le scrutin, la France, la CEDEAO, ainsi que le Secrétaire général de l’ONU, ont salué le déroulement du vote.
Le Togo venait ainsi de connaître l’une des élections présidentielles les plus tragiques de son histoire, soldée par la mort de centaines de citoyens. C’est dans un bain de sang que Faure Gnassingbé succéda à son père.
Pour certains observateurs, le traumatisme né de l’élection de 2005, suivi des autres scrutins présidentiels entachés de contestation, expliquerait pourquoi le président Faure Gnassingbé envisage, dans son projet de nouvelle Constitution, de supprimer purement et simplement le suffrage universel — afin, peut-être, de ne plus jamais revivre de telles dérives.
…Parce qu’un peuple sans histoire est un monde sans âme.
Albert AGBEKO
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