Interview de Hamzaoui Mustapha, Secrétaire Général de l’AYUC-Algérie: Les conflits et les régimes autoritaires continuent de menacer les journalistes
Chaque année, des journalistes sont tués, emprisonnés ou menacés pour avoir fait leur travail. La 10ème journée internationale pour la fin de l’impunité des crimes contre les journalistes est une occasion de dénoncer ces actes et de demander justice pour les victimes. Nous sommes ravis d’accueillir Hamzaoui Mustapha, Juge international à la cour d’Angleterre et Secrétaire Général de la Commission de l’Union africaine des jeunes (AYUC-Algérie), qui partage avec nous son expertise sur les instruments juridiques internationaux qui protègent les journalistes et la liberté de la presse.
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Togo Scoop: la protection des journalistes et la liberté de la presse ont-elles évolué au fil des années ?
Hamzaoui Moustapha: Tout d’abord, permettez-moi en cette occasion importante, de rendre un hommage sincère et profond aux journalistes et reporters de première ligne qui, avec un courage remarquable, s’engagent sur le terrain pour couvrir les conflits, les crises et les situations d’urgence. Il est également essentiel de souligner que cette date commémorative est une occasion de se remémorer les qualités des femmes et des hommes des médias d’Afrique qui ont été à l’avant-garde, avec leur plume judicieuse et leurs idées éclairantes. Ils donnent ainsi un exemple de professionnalisme, de sacrifice et de lutte, visant à porter haut la voix de l’Afrique, tout en défendant la justesse de leur cause face à l’injustice du colonisateur.
Cette journée, célébrée cette année, se déroule dans un contexte particulièrement tragique et préoccupant, marqué par l’assassinat de 26 journalistes palestiniens à Gaza en seulement 27 jours. Ces événements douloureux soulignent non seulement les dangers auxquels font face les journalistes dans les zones de conflit, mais aussi l’urgence de protéger ceux qui s’engagent à rapporter la vérité, même au péril de leur vie.
La protection des journalistes et la liberté de la presse ont évolué de manière complexe, avec des avancées significatives et des reculs préoccupants. Au 20e siècle, la reconnaissance des droits de l’homme, notamment à travers la Déclaration universelle de 1948, a établi un cadre pour la liberté de la presse. Beaucoup de pays ont inscrit cette liberté dans leurs constitutions, mais les protections varient. Les conflits et les régimes autoritaires continuent de menacer les journalistes, qui sont souvent ciblés pour avoir rapporté des vérités dérangeantes. L’avènement d’Internet a transformé le paysage médiatique, mais a également introduit des défis comme la désinformation. Des organisations internationales œuvrent pour protéger les journalistes, bien que l’impunité pour les crimes commis contre eux demeure un problème. Aujourd’hui, les journalistes font face à des menaces variées, et la montée du populisme renforce les tensions autour de la liberté de la presse. Malgré les progrès, une vigilance continue est nécessaire pour garantir la sécurité des journalistes et la liberté d’expression.
Togo Scoop : Quels sont les principaux jalons dans l’histoire de la protection des journalistes et de la liberté de la presse ?
Hamzaoui Moustapha: Parmi les principaux jalons dans l’histoire de la protection des journalistes et de la liberté de la presse, on peut citer la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui affirme le droit à la liberté d’expression, fondamental pour la liberté de la presse. À partir du 20e siècle, de nombreux pays ont inscrit la liberté de la presse dans leurs constitutions, offrant un cadre légal pour protéger les journalistes. La création de Reporters sans frontières en 1985 a également été un tournant, en défendant la liberté de la presse et en sensibilisant aux violations des droits des journalistes. La résolution 1738 du Conseil de sécurité de l’ONU en 2006 a condamné les attaques contre les journalistes en situation de conflit. De plus, la Déclaration de Windhoek en 1991 a souligné l’importance d’un journalisme indépendant pour le développement démocratique. Les initiatives de l’UNESCO sur la sécurité des journalistes et la déclaration du 2 novembre comme Journée internationale pour mettre fin à l’impunité des crimes contre les journalistes sont des étapes importantes dans cette lutte. Enfin, l’émergence des médias numériques et des campagnes récentes contre l’impunité montrent que, malgré des progrès notables, la protection des journalistes et la liberté de la presse restent des enjeux cruciaux qui nécessitent une vigilance et un engagement permanents.
Togo Scoop: Quels sont les principaux droits des journalistes en vertu du droit international ?
Hamzaoui Moustapha: Les journalistes disposent de plusieurs droits fondamentaux en vertu du droit international, essentiels à l’exercice de leur profession. Parmi ces droits, on trouve :
Droit à la liberté d’expression : Garantissant la possibilité de chercher, recevoir et diffuser des informations.
Droit à l’accès à l’information : Permettant aux journalistes d’accéder aux informations publiques pour leur travail.
Protection contre la censure : Assurant qu’ils ne soient pas soumis à une ingérence préalable dans leur reportage.
Droit à la protection de la source : Préservant la confidentialité des sources d’information.
Protection contre les violences et menaces : Garantissant leur sécurité, en particulier dans les zones de conflit.
Droit à un procès équitable : Assurant des procédures justes en cas de litiges.
Droit à la liberté de réunion et d’association : Permettant de s’organiser pour défendre leurs intérêts professionnels.
Droit à la protection des droits d’auteur : Protégeant leurs créations contre l’utilisation non autorisée.
Ces droits sont cruciaux pour la liberté de la presse et le fonctionnement démocratique, mais leur mise en œuvre effective reste un défi dans de nombreux contextes.
Togo Scoop : Quels sont les principaux défis pour lutter contre l’impunité des crimes contre les journalistes ?
Hamzaoui Moustapha : Lutter contre l’impunité des crimes contre les journalistes présente plusieurs défis majeurs :
Culture de l’impunité : De nombreux pays souffrent d’une culture où les crimes contre les journalistes ne sont pas sérieusement traités, incitant à la violence.
Faiblesse des systèmes judiciaires :Les systèmes judiciaires inefficaces ou corrompus peuvent mener à des enquêtes bâclées et à une absence de poursuites.
Menaces à la sécurité : Les journalistes sont souvent confrontés à des menaces physiques et à l’intimidation, ce qui peut les dissuader d’enquêter sur des sujets sensibles.
Pressions politiques et économiques : Les gouvernements exercent des pressions pour contrôler l’information, ce qui entraîne autocensure et violations des droits des journalistes.
Accès limité à l’information : Les journalistes rencontrent des obstacles pour obtenir des informations, particulièrement dans des régimes autoritaires.
Manque de soutien international : Le soutien concret pour lutter contre l’impunité est souvent limité, réduisant la pression sur les gouvernements pour respecter les droits des journalistes.
Désinformation et attaques contre les médias : La montée de la désinformation et des discours anti-médias crée un environnement hostile, exposant les journalistes à davantage de risques.
Ces défis nécessitent une approche globale pour renforcer la protection des journalistes et garantir que les responsables de violences soient tenus pour compte.
Togo Scoop :Quel est le rôle des organisations internationales telles que l’ONU, l’UE et la CIDH dans la promotion de la liberté de la presse et la protection des journalistes ?
Hamzaoui Moustapha: Les juristes internationaux font face à plusieurs défis dans la promotion de la liberté de la presse :
Évolution des technologies
-Surveillance numérique et censure en ligne compliquent la protection des journalistes et de leurs sources.
Pressions politiques croissantes
Les régimes autoritaires peuvent imposer des restrictions supplémentaires sur la liberté de la presse, compromettant la protection des journalistes.
Désinformation et fake news
La lutte contre la désinformation complique le travail des journalistes et peut être utilisée par les gouvernements pour justifier des restrictions.
Impunité persistante
La faible responsabilité et la corruption dans les systèmes judiciaires entravent les enquêtes et les poursuites pour crimes contre les journalistes.
Difficultés de coordination
La coopération internationale est compliquée par des systèmes juridiques variés, rendant l’alignement des priorités difficile.
Soutien financier limité
Les organisations de défense de la liberté de la presse peuvent souffrir de contraintes budgétaires, limitant leur capacité d’action.
Sensibilisation et formation
La nécessité de former les acteurs judiciaires et de sensibiliser le public reste un défi majeur pour promouvoir la liberté de la presse.
Ces défis exigent des stratégies innovantes et une collaboration étroite entre divers acteurs pour avancer dans la protection de la liberté de la presse.
Togo Scoop: Comment ces organisations peuvent-elles contribuer à la mise en œuvre des instruments juridiques internationaux pour protéger les journalistes ?
Hamzaoui Moustapha: Les organisations internationales telles que l’ONU, l’Union européenne (UE) et la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) peuvent contribuer à la mise en œuvre des instruments juridiques internationaux pour protéger les journalistes de plusieurs manières :
Élaboration de normes et de recommandations
Promouvoir des normes internationales spécifiques et émettre des recommandations aux États pour aligner leur législation sur les normes internationales.
Surveillance et évaluation
Établir des mécanismes de suivi des violations et évaluer l’impact des lois et politiques sur la protection des journalistes.
Formation et renforcement des capacités
Organiser des formations pour les forces de l’ordre et les juristes sur les droits des journalistes et renforcer les capacités institutionnelles.
Assistance technique et financière
Fournir un soutien technique et financier aux États pour mettre en œuvre des programmes de protection des journalistes et financer des projets collaboratifs.
Plaidoyer et sensibilisation
Faire pression sur les gouvernements pour qu’ils respectent leurs engagements internationaux et mener des campagnes de sensibilisation sur l’importance de la liberté de la presse.
Mécanismes de plainte et d’accès à la justice
Faciliter l’accès à des mécanismes de plainte pour les journalistes victimes de violations et offrir un soutien juridique.
En somme, ces organisations jouent un rôle crucial dans la création d’un environnement plus sûr et respectueux de la liberté de la presse.
Togo scoop:Quels sont les défis auxquels ces organisations sont confrontées dans la promotion de la liberté de la presse ?
Hamzaoui Moustapha: Les organisations internationales comme l’ONU, l’Union européenne (UE) et la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) font face à plusieurs défis dans la promotion de la liberté de la presse :
Souveraineté nationale
Les États peuvent refuser les interventions extérieures, invoquant la souveraineté pour justifier des restrictions à la liberté de la presse.
Corruption et manque de volonté politique
La corruption et le manque de volonté politique dans certains pays entravent l’application des lois sur la protection des journalistes.
Violence et intimidation
Les journalistes subissent souvent des menaces et de la violence, rendant leur travail dangereux et difficile.
Environnements hostiles
Dans des contextes autoritaires, les gouvernements peuvent réagir négativement aux efforts des organisations internationales.
Désinformation et discours de haine
La montée de la désinformation et des discours anti-médias complique la perception du travail des journalistes et alimente un climat d’hostilité.
Ressources limitées
Les contraintes budgétaires et les ressources limitées peuvent restreindre les missions de promotion de la liberté de la presse.
Coordination entre acteurs
La nécessité de coordonner les efforts entre différents acteurs peut poser des défis d’alignement des priorités.
Impact des technologies
L’évolution rapide des technologies, comme la surveillance numérique, pose de nouveaux défis pour la protection des journalistes.
Ces défis nécessitent une approche collaborative et stratégique pour promouvoir efficacement la liberté de la presse et protéger les journalistes.
Togo Scoop : Quels sont les progrès accomplis dans la lutte contre l’impunité des crimes contre les journalistes ces dernières années ?
Hamzaoui Moustapha: Ces dernières années, des progrès significatifs ont été réalisés dans la lutte contre l’impunité des crimes contre les journalistes :
Augmentation des poursuites judiciaires
Plus de cas de violence contre les journalistes ont été traduits en justice dans plusieurs pays.
Création de mécanismes nationaux
-Des commissions et unités spéciales ont été établies pour enquêter sur les crimes contre les journalistes, comme au Mexique.
Soutien international accru
L’ONU et l’UE exercent une pression croissante sur les États pour qu’ils prennent des mesures concrètes contre l’impunité.
Sensibilisation accrue
Des campagnes par des ONG ont mobilisé l’opinion publique en faveur des journalistes victimes de violence.
Utilisation des technologies
Les médias sociaux et les technologies numériques ont permis de documenter et de rendre visibles les violations des droits des journalistes.
Formation et renforcement des capacités
Des programmes de formation pour les forces de l’ordre et le personnel judiciaire ont été mis en place pour améliorer la protection des journalistes.
Adoption de lois de protection
Des lois spécifiques visant à protéger les journalistes ont été adoptées ou renforcées dans certains pays.
Mobilisation de la communauté internationale
Des initiatives comme la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité des crimes contre les journalistes ont renforcé les efforts globaux pour promouvoir leur sécurité.
Ces avancées témoignent d’une prise de conscience croissante et d’actions concrètes pour lutter contre l’impunité, nécessitant la collaboration continue entre divers acteurs.
Propos recueillis par Yaovi AGBEGNIGAN