Togo : Victoire Dogbé, le Premier ministre que les Togolais ne regretteront pas
« Je ne retiens du passage du Premier ministre Dogbé à la tête du gouvernement que ses effets vestimentaires. A chacune de ses sorties, elle arbore une nouvelle tenue assortie d’un foulard. C’est ce que je garde d’elle, sinon à part ça rien ». Cette boutade d’une Togolaise, employée de bureau croisée au quartier administratif, en plein cœur de Lomé, résume à elle seule l’idée que les Togolais ont du passage de la première femme à la tête du gouvernement.
Nommée en septembre 2020, Premier ministre du Togo, Victoire Dogbé, est rentrée dans l’histoire comme la première femme à occuper ce poste au Togo. Elle a totalisé 3 ans 8 mois 1 jour à la Primature ce qui fait d’elle la troisième Premier ministre en termes de longévité derrière son prédécesseur Komi Sélom Klassou et Gilbert Fossoun Houngbo. Mais s’agissant de l’efficacité de l’action gouvernementale, la native de Badougbé est très loin derrière les Premiers ministres à l’instar de Gilbert Fossoun Houngbo ou Edem Kodjo considérés comme les plus bosseurs de la IVème République. Cependant, elle devancerait l’éphémère Komla Mally ou encore Eugène Adoboli.
A 64 ans, Victoire Dogbé rendait le tablier de son gouvernement le 21 mai 2024. Mais que peuvent garder les Togolais de son passage dans les résidences de « Cité OUA » ?
Propulsée à la tête du gouvernement en pleine crise sanitaire où les Togolais étaient confinés, le gouvernement Dogbé malgré la qualité de ses hommes a eu de la peine à déployer ses compétences. La gestion de cette crise sanitaire laissera d’ailleurs un goût amer aux Togolais. La gestion de cette crise par le Premier ministre a écorné son image auprès de l’opinion. Tout d’abord, lorsqu’elle déclarait « vouloir faire peur » aux populations en les menaçant d’aller se faire vacciner. Ensuite, sa gestion scandaleuse des fonds alloués à la COVID-19. Une gestion d’ailleurs épinglée par la Cour des comptes qui a fait part de détournement massif de ces fonds. D’ailleurs, Mme Dogbé et Cina Lawson de l’Economie numérique étaient les deux ministres du gouvernement selon la Cour qui ont balayé d’un revers de main la lettre de demande d’informations que les auditeurs de la Cour leur ont adressée. Finalement, face au tollé suscité par ce scandale de la République, l’Assemblée nationale trouvera l’occasion pour les dédouaner à travers un face-à-face qu’elle a organisé le 25 novembre 2023 entre les ministres mis en cause et les auditeurs pour conclure que les fonds COVID-19 ont été bien gérés mais qu’il y a eu un déficit de communication entre le gouvernement et la Cour.
LE COVIDGATE
Notons en passant que ce scandale financier a fait que la Cour n’a pas pu continuer sa mission en publiant le rapport de gestion des fonds pour les autres années à savoir 2021, 2022 et 2023. Qu’à cela ne tienne les fonds COVID existent toujours et ne sont pas dissous. Ce qui veut dire que des opérations financières et des dépenses continuent de se faire sur ces fonds qui proviennent des emprunts auprès des bailleurs comme la BAD, UE, FMI, BM. Cet argent sera remboursé avec des intérêts grâce aux impôts et taxes des Togolais.
Parlant toujours de COVID-19 et s’agissant des relations entre l’exécutif et le législatif, il y a eu une défiance qui n’a pas dit son nom entre l’Assemblée nationale et le gouvernement. En effet, sollicité en septembre 2021 par le gouvernement pour une prorogation de six mois de l’état d’urgence en cours dans le pays, l’Assemblée nationale a outrepassé les consignes du gouvernement pour lui donner un an de plus. Ce qui pourrait signifier que le Premier ministre ne maitrise ou ne contrôle pas sa majorité. Au lieu de lui refuser de lui accorder cette prorogation, les députés ont fait plus que ce que demandait la cheffe du gouvernement ; comme pour lui dire ne revient plus nous déranger ici.
LE PHENOMENE DE VIE CHERE
Les Togolais sont durement éprouvés sur le plan économique avec le passage de la native de Badougbé à la primature. Au cours de son passage, la vie chère et la baisse du pouvoir d’achat ont pris en tenaille les citoyens. De ce fait, on a assisté à l’effondrement de la moyenne classe. La minorité dénoncée par le président de la République Faure Gnassingbé s’est encore renfoncée au détriment de la majorité des Togolais qui croupisse dans la misère et la précarité.
Dans son discours Programme devant la Représentation nationale et dans ses déclarations, Mme Dogbé a soutenu que l’élargissement de l’assiette fiscale a pour objectif de faire des réalisations ce qui se répercutera dans le panier de la ménagère. Mais le consommateur n’a jamais ressenti ses fruits de la croissance. Au contraire, le constat est que depuis son arrivée on a assisté à l’imposition de nouvelles taxes ce qui a accentué la problématique de la vie chère.
C’est avec Victoire Dogbé que la taxe sur l’habitat a été ramenée, les péages ont été multipliés avec l’augmentation et l’extension des frais aux engins à deux roues. La taxe sur les véhicules à moteur (TVM) a été instituée malgré le mécontentement de la population demandant au gouvernement de lever son genou sur son cou, rien n’est fait. Le gouvernement est resté inébranlable.
Par ailleurs, c’est avec le Premier ministre que la décentralisation a pris corps avec les communes qui ont aussi institué de nouvelles taxes. En somme, Mme Dogbé est venue avec de nouvelles taxes, elle les a maintenues et elle repart en les laissant.
LA CRISE ENERGETIQUE ET ABUS DE POUVOIR
Durant son passage, la politique énergétique du pays a montré aussi ses limites. Malgré les divers investissements fait dans le domaine, le Togo a renoué avec le délestage, sans oublier la pénurie cyclique de carburant, d’eau dans certaines localités du pays notamment Kara, la ville du chef de l’Etat.
Victoire Dogbé à la tête du gouvernement c’est aussi plusieurs abus, violations des droits des travailleurs et menaces sur le droit de grève. Les enseignants en feront le plus grand frais. La palme d’or revient au professeur Kokoroko qui les a malmenés. Quoique lui-même issu de ce corps, il a donné du fil à retordre aux professionnels de la craie. Son « action d’éclat » a été le déclassement et le remplacement de plus de 1192 directeurs d’école (du jamais vu dans l’histoire récente du Togo même au temps fort de la dictature rampante du Général Eyadema et face à la grève des enseignants en 1998 on n’avait pas agi ainsi) en novembre 2021 au motif qu’ils ont observé une grève de 48 h à l’appel du Syndicat des enseignants du Togo (SET). Déclarant illégal ce syndicat et son mot d’ordre de grève, argument que réfutent les organisations syndicales, 137 enseignants ayant participé à la grève du 30 mars 2022 ont été démis de leurs fonctions par un arrêté du ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social Gilbert Bawara parce qu’ils « ont continué à faire montre d’une attitude de défiance envers l’autorité de l’État », soutient le ministre. Le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et technique Dodzi Komla Kokoroko reviendra à la charge en menaçant « ceux qui s’entêtent à troubler le secteur de l’éducation seront purement et simplement exclus de la fonction enseignante et mis à la disposition de la fonction publique ». Et le 5 avril 2022, Bawara a licencié de nouveau sept autres enseignants après la grève du 4 avril.
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A la suite de ces grèves répétitives et aux licenciements à tout-va, les élèves de plusieurs localités du pays ont commencé par manifester pour exiger le retour des enseignants dans les salles de classe. Au cours de certaines de ces manifestations la violence et des actes de vandalisme ont été notés. Des écoles ont été fermées dans la partie septentrionale du pays, le plus touché. Des élèves arrêtés plusieurs mois durant et certains n’ont pas pu passer leurs examens malgré la mobilisation de la communauté nationale pour les faire libérer. C’est ainsi que dans une interview accordée à une radio locale, le ministre de la Sécurité et de la protection civile, le général Yark Damehane, a déclaré qu’il avait donné des instructions aux forces de sécurité pour qu’elles interviennent et utilisent des gaz lacrymogènes en cas de violences pendant les manifestations scolaires.
Dans la soirée du 8 avril 2022, Kossi Kossikan, Joseph Toyou et Ditorga Sambara Bayamina, tous des responsables du SET ont été arrêtés et placés en garde-à-vue dans les locaux du Service central de recherches et investigations criminelles (SCRIC).
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Saisie de la situation par les organisations syndicales, la 349ème session de l’Organisation internationale du travail (OIT) tenue à Genève, a déclaré que le gouvernement n’a pas le pouvoir de déclarer une « grève illégale ou licite ». De plus, l’organisation a reconnu que des « menaces et représailles » pesaient sur le SET, tout en notant des vices de procédure dans les sanctions appliquées par le gouvernement.
Ces bouleversements intervenaient alors que le pays se dotait fin décembre 2020 d’un nouveau code du travail.
Le gouvernement Dogbé s’est aussi distingué sur le plan social par l’organisation des concours de recrutement tout azimut dans la fonction publique pour la plupart les résultats ne sont jamais publiés. Finalement, le ministre de la Fonction publique, Bawara annulera ces concours sans dédommager les postulants.
Sous Victoire Dogbé, la liberté individuelle et collective a aussi pris un coup. Grâce à la modification de la loi sur les manifestations publiques, le pays a profondément régressé. Les manifestations des partis politiques et des organisations de la société civile ont été systématiquement interdites. Les raisons sécuritaires sont évoquées par les autorités. Depuis l’attaque terroriste qui a eu lieu au grand marché de Lomé le 2 juin 2022 et qui a conduit à la mort d’un gendarme et à la grave blessure d’un policier en service, cette attaque est l’argument avancé par le ministre de l’Administration territoriale qui depuis mars 2020, date du premier cas du virus Covid-19 a interdit systématiquement toute manifestation publique dans le pays.
MEDIAS MUSELES, JOURNALISTES EMPRISONNES
Dans le domaine des médias, il faut souligner que le pays a également régressé. Non seulement le pays a régressé dans le classement de Reporter sans frontières (RSF) sur la liberté de presse mais aussi en termes de liberté des journalistes et d’expression. Plusieurs organes de presse ont été suspendus par la HAAC, des journalistes ont été condamnés à de lourdes amendes (dont 260 millions de F CFA d’amende prononcée contre Togo 24, un journal en ligne togolais dans une affaire de corruption à la mairie Kloto1) le plus souvent dans des affaires les opposants à des membres du gouvernement. Alors que le pays a dépénalisé les délits de presse, on a noté le mandat de dépôt délivré à l’encontre de plusieurs journalistes dont le doyen Apollinaire Mewenemesse, Loïc Lawson, Anani Sassou, Ferdinand Ayité, Isidore Kouwonou, Joel Kossi Vignon Egah. Ce dernier est décédé quelques semaines après sa libération alors que ces deux autres co-accusés ont été contraints à l’exil.
Le gouvernement Dogbé a vraiment déçu sur des sujets sur lesquels on l’attendait plus à savoir la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. Aucun des acteurs de détournement de fonds qui faisaient la une des tabloïds n’ont jamais été inquiétés.
Preuve que les dirigeants ne sont pas des exemples de vertu, la déclaration de leurs biens n’a jamais eu lieu. Après plusieurs charcutages faisant perdre au texte son caractère exemplaire, cette déclaration a été finalement vidée de tout son sens.
Le gouvernement n’a non plus fait la promotion d’une justice indépendante. Les sorties du président de la Cour suprême, Abdoulaye Yaya dénonçant les vices dans la maison de la justice s’apparentaient à un cri d’un solitaire dans le désert qui n’a aucune incidence sur les juges. Conséquence, les justiciables n’ont aucune confiance aux juges du pays, ils préfèrent saisir les juridictions sous-régionales que celles de leurs pays.
Toutefois, à l’avantage de Victoire Dogbé, le fait qu’elle a brisé les codes d’un Premier ministre « bunkerisé » derrière sa tour ceci en allant à des concerts, en faisant du sport avec la masse et en publiant sa playlist des chansons qu’elle écoute régulièrement.
En presque 4 ans de présence à la Primature, Victoire Dogbé aurait-elle pu influer positivement sur la vie de ses concitoyens que ce qu’elle a fait ? Avait-elle réellement le pouvoir pour agir et faire bouger les lignes ? Honnêtement, loin de lui jeter la pierre, nous pensons qu’elle n’a pas fait des merveilles parce que certains faits fondamentaux sont teigneux et tant qu’on ne prend pas le courage à deux mains pour les régler, même un magicien ne pourrait rien faire. La nature du régime même ne permettait pas à un Premier ministre, un superman de déployer toutes ses compétences. Gilbert Houngbo l’a compris quand il a jeté l’éponge. On ne peut mieux jauger les actions du Premier ministre que dans une organisation politique où les pouvoirs sont bien séparés et lisibles. On sait qui fait quoi et avec quels moyens ; on pourra mieux juger selon les prérogatives accordées à chaque entité. Pour l’heure tel n’est pas le cas. Néanmoins Victoire Dogbé peut mieux faire…
Albert AGBEKO
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Et les licenciements abusifs sous son règne? Ou bien ça ne fait pas son affaire ?
Vanité des vanités😭😭😭. Un seul jour suffira pour chacun de nous, dirigeants ou dirigés,riches ou pauvres , oppresseurs ou opprimés de devenir*RIEN* . Quels témoignages les gens auront de nous ? Tant que personne n’a l’antidote de la mort, changeons notre manière de nous asseoir si cette manière indispose notre prochain. Que Allah nous délivre de tout esprit du mal. Amine Amine Amine