Joseph Marc BAZIE, analyste politique : « La présence des forces françaises sur notre continent est une entrave à notre souveraineté »
L’Afrique francophone est en bouillonnement. Quatre coup d’Etat en l’espace de trois ans. Ces bouleversements suscitent des interrogations quant à l’avenir du continent. Pour décrypter cette évolution, Togo Scoop Info a contacté Joseph Marc BAZIE, analyste politique et membre du MCN (Mouvement Conscience Nouvelle). Il nous fait sa lecture de la situation. C’est à travers cette interview exclusive.
Lecture…
TOGO SCOOP INFO : Que pensez-vous des coups d’États consécutifs en Afrique ?
Joseph Marc BAZIE : Le continent africain est de nouveau le théâtre des coups d’États depuis 2020 surtout dans les pays francophones impactant ainsi le développement de ces nations et les rapports avec l’ancienne puissance coloniale à savoir la France. Mais ce qu’il faut noter, c’est que nous assistons à une nouvelle dynamique des coups d’États, car ces coups d‘États sont portés par des jeunes militaires qui souhaitent redéfinir les relations avec la France et avoir des rapports constructifs d’égal à égal ou d’Etat à Etat et non des rapports de maitre et d’esclave. Ces coups d’États se caractérisent par des soutiens populaires renforçant la position des militaires. À la différence des coups d’États des années 60 à 80 où c’était la France qui intervenait dans tel ou tel pays pour renverser un président non soumis ou qui tente de se soustraire du dispositif mis en place, maintenant ce sont des jeunes officiers qui font les coups d’États, je ne dirai pas pour chasser la France mais pour dénoncer les rapports de servitude de la France et souhaitent un équilibre dans ses rapports. Ils ont un grand désir d’une véritable souveraineté de leurs pays, c’est pourquoi ils jouissent d’un soutien populaire. Nous pouvons affirmer que cette résurgence des coups d’États dans les ex colonies françaises est la preuve de l’échec de la démocratie occidentale. La démocratie telle qu’appliquée sous nos cieux avec la bénédiction de l’ancienne puissance coloniale n’a pas permis à ces États d’amorcer un véritable développement. Elle est minée de plusieurs maux d’où son impopularité. Ces coups d’États peuvent être classés dans la catégorie des coups d’États réformateurs qui cherchent à instaurer un changement politique, social et économique et des relations constructives avec l’Occident surtout la France. Il faut noter que les coups d’États du Tchad et du Gabon font exception à cette nouvelle dynamique des coups d’États réformateurs car, eux, ils visent à conserver un ordre ancien et consolider toujours les relations avec la France, voilà pourquoi il n’y a eu aucune condamnation dans les chancelleries occidentales. Ils sont qualifiés de coup d’États conservateurs.
TOGO SCOOP INFO : Selon Macron « sans la France …. Il n’y aura pas de Mali, du Burkina et du Niger ». Êtes-vous d’avis ?
Joseph Marc BAZIE : De tel propos du président français Emmanuel Macron est un dénie de l’histoire. Nous dirons plutôt sans la France, le Mali, le Burkina et le Niger étaient un paradis pour leurs peuples. La France est entièrement responsable de l’enfer dans lequel vivent ces peuples du Sahel. À moins que le président Macron a des troubles de mémoire parce qu’il a affirmé lui-même que l’intervention française en Libye était une erreur, alors si tel est vraiment le cas, on est en droit de se demander qui est le véritable responsable de la déstabilisation des pays du Sahel ? Qui a assassiné le président libyen Khadafi ? Qui fabrique la monnaie des pays francophones ? Qui exploite les ressources naturelles des pays francophones ? Pourquoi malgré autant de richesses aucune des ex-colonies françaises ne figure parmi les dix premières puissances africaines ? Qui fabrique les armes dont utilisent les terroristes ? Qui leur livrent ces armes et ces billets d’argent qu’ils utilisent pour recruter ces jeunes innocents ? Donc si on trouve des réponses à toutes ces interrogations alors on trouvera à une réponse à Macron. J’ai l’habitude de dire que Macron est une bénédiction pour les pays africains dont à nous de profiter pour se libérer totalement de la tutelle française.
les coups d’États, je ne dirai pas pour chasser la France mais pour dénoncer les rapports de servitude de la France
Le sentiment anti-français dont il chante à chaque fois jusqu’à convoquer les dirigeants du G5 Sahel à Pau, est le résultat d’un passif colonial non-résolu et l’expression d’une volonté souverainiste nationale par la jeunesse consciente. C’est à la France de revoir sa politique africaine sinon le chemin amorcé par les Etat francophones est irréversible malgré certains obstacles.
TOGO SCOOP INFO : Pensez-vous réellement que la France a perdu ses anciennes colonies ?
Joseph Marc BAZIE : Dire que la France a perdu réellement ses anciennes colonies est une ironie. À partir du moment où la France à accorder l’indépendance à ses colonies c’est qu’elle les a perdus et elle refuse d’admettre cela. C’est quoi l’indépendance ? La France doit chercher à avoir des rapports constructifs avec ses anciennes colonies tout comme elle aussi, a des rapports constructifs avec les autres puissances mondiales. Pourquoi refuser ce droit aux États Africains ? J’ai dit plus haut que l’expression souverainiste nationale actuelle est irréversible, la jeunesse consciente africaine montante souhaite un équilibre des relations et une affirmation de nos États actuels. C’est pourquoi la nouvelle dynamique des coups d’États bénéfice du soutien des masses populaires. La jeunesse africaine ne chasse pas la France, non, il y a plusieurs entreprises françaises en Afrique qui créent de l’emploi pour plusieurs jeunes africains mais elles ne sont pas menacées, ce que les jeunes souhaitent c’est avoir aussi cette capacité de créer des entreprises africaines en France pour employer des milliers de jeunes français. C’est de traiter d’égal à égal, de nation à nation, d’Etat souverain à Etat souverain. C’est pourquoi j’ai l’habitude de condamner ces différents sommets, genre France-Afrique, Russie-Afrique, Sino-Afrique, États-Unis-Afrique etc. Nous devons quitter dans cette formule des choses.
Cette résurgence des coups d’États dans les ex colonies françaises est la preuve de l’échec de la démocratie occidentale.
Comment un petit Etat peut convoquer tout un continent à un sommet jusqu’à institutionnaliser cela ? Les Africains doivent trouver eux-mêmes le chemin du développement et de coopération et quitter sur le chemin tracé par les autres. Joseph KI-ZERBO disait « on ne développe pas on se développe ». Ce n’est pas aux autres de nous dire ce que nous devons faire mais c’est à nous de décider de ce que nous voulons, de solutionner priorité par priorité nos problèmes peu importe le temps que cela durera. C’est ça la nouvelle volonté de la jeunesse, à la France de revoir sa politique africaine, comme le disait le Capitaine Thomas SANKARA, cette politique est trop française.
TOGO SCOOP INFO : Après le coup d’Etat au Niger, nous avons eu cette chance d’avoir des retours d’informations de ce qui se passait vraiment, pour savoir qu’il y a « des gens qui étaient payés gracieusement, pour mener des attaques au Burkina Faso », Colonel Major Kassoum COULIBALY. Pouvez-vous donner des éclaircissements sur cette déclaration du ministre de la défense et des anciens combattants ?
Joseph Marc BAZIE : Le coup d’Etat au Niger était prévisible même les myopes de la géopolitique le savaient et c’est une chance pour nous. Après le départ de l’armée française du Mali et du Burkina Faso et l’hospitalité trouvée par ces forces au Niger, il était prévisible que dans un élan de fraternité, de solidarité et d’affirmation des populations du Sahel, les jours de BAZOUM étaient comptés. D’autres facteurs internes étaient explicatifs de ce coup d’Etat et l’arrivée des troupes françaises à accélérer les choses. Ce qui touche le Mali, touche le Burkina Faso et touche aussi le Niger. L’insécurité dans le Sahel n’arrange personne, c’est pourquoi les armées ont décidé de prendre les pouvoirs aux mains de ces présidents civils corrompus et soumis pour pister d’autres stratégies de lutte contre le terrorisme. Sans une réelle collaboration entre ces trois pays, la lutte sera difficile. Nous ne sommes pas dans les secrets de l’art pour voir comment ces individus étaient payés pour déstabiliser le Burkina Faso et le Mali, mais il est évident qu’après le départ de l’armée française du Burkina Faso et l’accueil chaleureux réservé à ces soldats par BAZOUM, il était sûr que ce pays allait servir de base arrière pour déstabiliser les deux autres pays. Les propos de BAZOUM et de son Général Taraki à l’époque en disaient long. Cette complicité a été dénoncée par le gouvernement malien actuel devant l’ONU et aussi par des anciens ministres du gouvernement Roch Marc Christian KABORE et les autorités actuelles du Burkina Faso. Le témoignage des soldats au front fait froid au dos.
Toute rupture est douloureuse mais il faut l’accepter.
La France n’est pas prête pour toute souveraineté de ses ex-colonies donc elle passera par tous les moyens pour nous déstabiliser. Vous voyez que certains dirigeants de la CEDEAO sont montés au créneau pour une intervention militaire au Niger, en réalité ce n’est pas pour la France c’est pour préserver leur propre fauteuil car les prochaines vagues de protestation de la jeunesse auront lieu chez eux. C’est pourquoi, ils font tout pour faire échec aux transitions du Mali, du Burkina Faso et du Niger en vue d’endiguer ces vagues de protestations. Mais comme je l’ai affirmé plus haut, ce processus est irréversible grâce à l’éveil des consciences. Les populations commencent à comprendre les mécanismes d’instrumentalisation sur la fibre ethnique, religieux et régionaliste. Le Sahel retrouvera son luxe d’antan.
TOGO SCOOP INFO : « Les forces françaises ne se déploieront qu’à la demande de BAZOUM » Macron. Que vous inspire cette déclaration du président français ?
Joseph Marc BAZIE : C’est une guerre de communication et de jeu de mots, sinon Macron sait pertinemment que les forces françaises quitteront le Niger à la demande des dirigeants actuels du pays. Au Burkina Faso, c’était la même chose mais elles ont fini par partir au Niger et là-bas également elles partiront ailleurs. Ce n’est pas une demande des militaires au pouvoir mais c’est une aspiration populaire. Les forces françaises malgré la haute technologie dont elles disposent, elles n’ont pas pu éradiquer le terrorisme depuis l’hécatombe Libyen, bien au contraire le terrorisme à gagner plusieurs pays et continuent de s’étendre sur les états côtiers. Quelle est l’importance de leur présence ? Toute rupture est douloureuse mais il faut l’accepter. La présence des forces françaises sur notre continent est une entrave à notre souveraineté et plusieurs organismes et personnes ressources avaient dénoncé cela. Le président Macron dans un de ses discours avait dit que les forces françaises sont présentes dans nos pays à la demande de nos dirigeants et celui qui ne voudrait plus de ces forces, peut faire la demande et elles partiront. La question, pourquoi elles ne voulaient pas partir du Mali, du Burkina Faso ? et maintenant le Niger ? C’est un secret de polichinelle, les soldats français sont présents dans nos pays pour tout simplement protéger les intérêts de la France car sans les richesses de nos États, la France n’est rien. Si elle pense le contraire, qu’elle quitte et on verra.
TOGO SCOOP INFO : Que pensez-vous d’une probable intervention des forces militaires de la CEDEAO au Niger, pour déloger les putschistes et installer BAZOUM dans ses fonctions ?
Joseph Marc BAZIE : Moi, je tiens à corriger une chose. Ce n’est pas une intervention militaire de la CEDEAO mais une intervention militaire de certains États de la CEDEAO notamment la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Benin à la solde de la France. Ces trois États ne sont pas la CEDEAO, donc il faut faire la part des choses. Au départ le président Nigerian Bola Tinubu a malheureusement indu la CEDEAO en erreur en déclarant lors de son investiture que l’ère des coups d’États était terminée en Afrique de l’Ouest et quelques jours après le coup d’Etat du Niger est arrivé. Donc il fallait laver son honneur en précipitant une intervention militaire mais juste après le sommet, les élus des deux chambres des représentants au Nigeria lui ont rappelé à l’ordre et il a abandonné le navire en plein milieu de la mer. La France qui souhaitait cela, a rapidement actionné certains de ses dirigeants dont le président ivoirien, sénégalais et béninois qui sont aujourd’hui les trois cerveaux de l’intervention. Ces trois pays ne sont pas la CEDEAO donc parler d’une intervention de la CEDEAO, moi, je m’inscris en faux. On peut plutôt parler d’une intervention française déguisée sous la coupe de la CEDEAO. Vous avez vu les images du dernier sommet de la CEDEAO, il y avait des chaises vides donc cela veut dire qu’au sein de cette organisation, il n’y a pas de consensus autour de cette piste de solution. Et pire, aucun article de la CEDEAO ne prévoit une intervention militaire dans un pays victime d’un coup d’Etat. Mais il faut comprendre l’agitation de ces trois dirigeants (ADO, Macky et Talon), ils ont tous fait des coups d’États dans leur pays et ils ont peur de l’attitude de leurs armées donc intervenir au Niger était une manière de s’auto protéger et avoir le quitus pour toutes manœuvres constitutionnelles. Ces dirigeants ont tripatouillé les constitutions de leurs pays, ça aussi, ce sont de coups d’États qu’on peut qualifier de coups d’États constitutionnels et électoraux qui sont condamnables aussi bien que les coups d’États militaires. Donc les coups d’États militaires ne sont que les conséquences des coups d’États constitutionnels, électoraux. C’est ce combat que la CEDEAO doit faire d’abord, faire respecter les valeurs démocratiques en son sein. Je suis peiné sur le sort d’Ousmane SONKO au Sénégal.
La France est entièrement responsable de l’enfer dans lequel vivent ces peuples du Sahel
Pour en arriver à l’intervention militaire, je dirai que nos institutions sous régionales perdent de plus en plus leur crédibilité auprès des populations. L’idée directrice qui a motivé les pères fondateurs de cette organisation a été dérobée par les dirigeants actuels. Dans nos valeurs africaines lorsqu’il y a des problèmes chez ton voisin, tu es dans l’obligation de voler à son secours, cette solidarité était une règle d’or et c’est ce qui a motivé les pères fondateurs à la création de la CEDEAO. Mais aujourd’hui, cette CEDEAO est devenue une organisation syndicale des dirigeants de l’Afrique de l’Ouest à la solde de certaines puissances occidentales en vue de préserver leurs intérêts au détriment de l’épanouissement des peuples africains. Voilà pourquoi, les peuples ne se retrouvent plus dans ces organisations. La question qu’il faut se poser, entre BAZOUM et les militaires au pouvoir, qui jouit de la légitimité populaire ? Toutes ces masses populaires qui soutiennent aujourd’hui les militaires, vous allez les bombarder aussi ? Ou, allez-vous tuer aussi tous ces militaires qui sont derrière le Général Tchiani ? Non ! il faut être réaliste et avoir raison gardé en privilégiant la négociation et la stabilité du pays et de toute l’Afrique de l’Ouest. Quel a été l’impact de l’intervention militaire française en Libye ? Les dirigeants de la CEDEAO doivent reconnaitre leurs erreurs et leur part de responsabilité. On peut tout jeter sur la France mais ce n’est pas le président français qui dirige l’Afrique. Tout dirigeant au pouvoir doit avoir comme mission ultime, la protection et la défense de son peuple. Quel est le rôle d’un père de famille ? C’est de tuer ses propres enfants ? C’est massacrer ses propres femmes et parents ? Non ! Ailleurs les dirigeants massacrent d’autres peuples pour protéger les leurs. Ils pillent les ressources des autres pays pour nourrir leurs populations. Pourquoi, nous, nos dirigeants n’ont pas encore compris ces notions élémentaires de la géostratégie ? Il y a une incohérence dans la gestion des crises par la CEDEAO, une inefficacité et un cynisme dans les sanctions d’où la désapprobation populaire de cette organisation. Les dirigeants doivent reconnaitre leurs erreurs du passé et opérer des réformes profondes au sein de cette organisation afin d’arriver à une véritable communauté des peuples ouest-africains.
TOGO SCOOP INFO : Votre mot de fin !
Joseph Marc BAZIE : Comme mot de fin, je dirai que nul ne souhaite que son pays soit dans une transition. Les transitions sont le résultat d’un recul démocratique. Mais lorsqu’elles y parviennent, il ne faut pas se mettre à les sanctionner ou chercher à nuire à ses dirigeants. Ce n’est pas les dirigeants que l’on sanctionne ici, mais plutôt ce pauvre peuple. Ces dirigeants sont à l’abri du strict minimum même si les sanctions vont durer pendant des années, c’est le peuple innocent qui endosse les conséquences. Quand les militaires veulent prendre le pouvoir, ils ne consultent pas le peuple, ils surprennent tout le monde et en fonction de la ligne directive, le peuple apprécie. Il faut résoudre la question des principes et valeurs démocratiques, la transparence dans la gestion des ressources naturelles, la lutte contre la corruption, l’équité et l’égalité devant la loi, le garanti des services sociaux au minima, repenser nos textes fondamentaux à les adaptant à nos valeurs endogènes. Les coups d’États actuels sont une forme d’expression de l’échec de la démocratie dans sa forme voulue par la France. C’est donc le moment pour nos transitions, de tirer leçon de l’histoire en identifiant les causes de l’échec de cette démocratisation, et tracé un nouveau chemin de départ car les peuples ont besoin d’un nouveau souffle. Et le rôle des institutions régionales est d’accompagner ces pays qui sont dans cette situation à résoudre leurs problèmes, en mettant à leur disposition toutes les ressources dont ils ont besoin pour la réussite. Aussi, il ne sert à rien de précipiter ces transitions vers des élections en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel sans au préalable résoudre les maux qui minent cette démocratie. Ne nous laissons pas influencer par les sirènes occidentales mais restons nous-mêmes.
Je vous remercie !!!
Propos recueillis par Yaovi AGBEGNIGAN
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