Drépanocytose au Togo : une maladie silencieuse qui crie sa douleur

Chaque 19 juin, le monde se mobilise pour marquer la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose. Au Togo, cette année encore, la sensibilisation a été au cœur des actions menées par les acteurs engagés dans cette lutte. L’Association Togolaise de Lutte contre la Drépanocytose (ATLD), en collaboration avec la Ligue des Consommateurs du Togo (LCT), a organisé une conférence de presse à Lomé. Une initiative salutaire pour rappeler que cette maladie héréditaire continue de faucher des vies dans l’indifférence générale.

Un témoignage poignant : quand la maladie entre dans une maison

Lors de cette conférence, le président de la LCT, Dr Emmanuel Sogadji, a livré un témoignage bouleversant. En tant que parent d’enfants drépanocytaires, il a partagé la douleur d’un quotidien rythmé par les souffrances, les angoisses et les nuits blanches à l’hôpital.
« Quand on est loin de la maladie, on n’en mesure pas toute la gravité. Mais quand elle frappe à votre porte, dans votre propre maison, alors tout change », a-t-il déclaré.
Face à la drépanocytose, il n’est plus question de superstition ou de fatalité, mais de responsabilité. Dr Sogadji a ainsi lancé un appel solennel au dépistage, notamment avant toute union. Un geste simple, mais décisif, pour prévenir la naissance d’enfants malades. « Avant de dépister l’enfant, dépistez-vous vous-mêmes », a-t-il insisté.
Comprendre la drépanocytose : une maladie évitable
La drépanocytose est une maladie génétique du sang. Elle affecte l’hémoglobine, protéine présente dans les globules rouges. Normalement arrondis, ces globules deviennent en forme de faucille chez les personnes malades, ce qui les rend rigides et cassants. Ces cellules anormales s’accumulent et bloquent la circulation sanguine, privant ainsi les organes d’oxygène. Résultat : douleurs intenses, anémies, infections et complications graves.
La maladie se transmet exclusivement par voie héréditaire. Lorsqu’un enfant hérite d’un gène S de chacun de ses deux parents (forme SS), il naît drépanocytaire. Les porteurs sains (forme AS ou AC) ne présentent pas de symptômes, mais peuvent transmettre la maladie.
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Au Togo, plus d’un million de personnes sont porteuses du gène, et près de 4 % de la population sont atteintes de la forme sévère. Cela représente environ 300 000 personnes. Un chiffre alarmant qui justifie la nécessité d’une réponse nationale coordonnée.
Des conséquences dévastatrices à tous les niveaux
La drépanocytose a un impact profond, tant médical que social et économique. Sur le plan sanitaire, les crises vaso-occlusives, anémies sévères, retards de croissance, infections chroniques, accidents vasculaires cérébraux et autres complications affaiblissent l’enfant dès ses premières années.
Sur le plan familial, la maladie engendre une fatigue psychologique et financière. Les soins, souvent coûteux, les médicaments, les transfusions et les hospitalisations fréquentes plongent les familles dans la précarité. Beaucoup de parents doivent arrêter de travailler pour s’occuper de leurs enfants malades. Les enfants, eux, accumulent les absences scolaires, compromettant leur avenir.
« Cette maladie est évitable, mais pour cela, il faut faire les bons choix, en toute connaissance de cause », martèle Dr Tobossi.
Ce qu’il faut faire : des gestes simples qui sauvent
Face à la drépanocytose, plusieurs solutions existent. Les principales recommandations des experts et des associations sont les suivantes :
- Dépistage préventif : connaître son statut hémoglobinique (AA, AS, SS, AC…) avant toute union permet d’éviter les combinaisons à risque.
- Choix du partenaire : deux porteurs sains (AS/AS) ont une probabilité sur quatre de transmettre la forme SS à chaque grossesse. Mieux vaut éviter ce type d’union si possible.
- Éducation et sensibilisation : les familles doivent être informées. Les églises, mosquées, mairies et écoles ont un rôle à jouer pour exiger et promouvoir le test prénuptial.
- Suivi médical régulier : les enfants atteints doivent être suivis dès la naissance. Une prise en charge précoce permet d’atténuer les souffrances et d’améliorer leur espérance de vie.
- Respect des mesures de prévention : éviter le froid, la déshydratation, le stress, les infections, suivre un régime alimentaire adapté, et respecter strictement les prescriptions médicales.
Le rôle des associations et des institutions
Depuis sa création en 2013, l’ATLD s’est engagée dans la sensibilisation, l’accompagnement des familles et le plaidoyer auprès des autorités. Kpono Mathieu Tobossi, son président actuel, a rappelé que l’association est légalement reconnue par le ministère de l’Administration territoriale. Elle fait également partie d’une fédération nationale d’associations luttant contre la drépanocytose.
« Notre priorité, c’est la sensibilisation et le plaidoyer pour rendre les soins accessibles, voire gratuits. Il faut que le test soit systématique chez la femme enceinte ou à la naissance », a souligné Dr Tobossi.
Il plaide pour une plus grande implication de l’État et des partenaires techniques et financiers. Sans moyens, les associations ne peuvent pas couvrir toutes les zones à risque, ni soutenir toutes les familles concernées.

Un appel aux jeunes et aux familles
Dans un pays où les sentiments et les traditions pèsent souvent plus que les choix rationnels, les intervenants ont insisté sur l’importance d’introduire la discussion sur le dépistage très tôt, dans les familles. Il ne s’agit pas de briser des relations amoureuses à la légère, mais d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
« Il vaut mieux interrompre une relation avant le mariage que de vivre le reste de sa vie à supplier les hôpitaux pour une poche de sang pour son enfant malade », a déclaré Dr Tobossi avec gravité.
Un problème de santé publique prioritaire
L’OMS et l’ONU considèrent la drépanocytose comme une priorité mondiale de santé publique. Et pour cause : 300 000 enfants naissent chaque année avec cette maladie, dont 50 % meurent avant l’âge de cinq ans, faute de dépistage ou de soins adaptés.
Le Togo, avec une prévalence de 16 %, n’échappe pas à ce fléau. Il est donc urgent que la lutte contre la drépanocytose soit intégrée dans les politiques de santé publique nationales, à travers des campagnes massives de sensibilisation, le dépistage gratuit, et la formation du personnel médical.
De la prise de conscience à l’action collective
La drépanocytose n’est ni une malédiction ni une fatalité. C’est une réalité médicale, que la science permet aujourd’hui de comprendre, de prévenir, et de mieux traiter. Mais pour freiner sa propagation, il faut briser le silence, combattre les tabous, et faire preuve de responsabilité individuelle et collective.
Le 19 juin ne doit pas être une simple date commémorative, mais un catalyseur d’actions concrètes, répétées tout au long de l’année. Car chaque test de dépistage effectué, chaque union responsable scellée, chaque enfant pris en charge précocement, représente une vie sauvée.
Albert AGBEKO
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