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YAS ET CONFAM

Interview Dr Alex Edoh, : « …Ce ne sont plus que les miradors, les tranchées, les hommes en uniforme et autres qui font la sécurité »

YAS ET CONFAM

Le gouvernement togolais a adopté, en Conseil des ministres du 10 janvier 2025, la création de l’Autorité togolaise des frontières (ATF). Cette nouvelle institution vise à instaurer une approche globale et interactive dans les réflexions et stratégies liées à la juridiction territoriale, maritime et aérienne du Togo. Elle permettra d’éviter d’éventuels chevauchements, tout en améliorant l’organisation, le stockage et la diffusion des informations relatives aux frontières nationales.

Pour mieux comprendre les attentes et les objectifs de cette nouvelle Autorité, nous avons rencontré le Dr Alex Koffi Edoh, ancien conseiller technique au ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Chefferie coutumière, et enseignant à l’École nationale d’administration du Togo (ENA). Expert reconnu sur ces questions, il partage son éclairage dans cette interview.

TOGOCOM DEVIEN YAS

Bonne lecture !

 

Togo Scoop : Bonjour Docteur, le Gouvernement Togolais vient d’adopter en Conseil des ministres un décret portant création d’une Autorité togolaise des frontières. Quelles sont vos impressions ?
Dr. Alex K. EDOH : Bonjour Monsieur le journaliste, merci pour l’opportunité que vous me donnez afin de me prononcer sur cette innovation non des moindres qui sûrement va impacter la gouvernance des frontières de notre pays. Déjà, c’est un sentiment de gratitude aux gouvernants qui ont compris l’urgence.

Togo Scoop : Qu’est ce qui devrait changer avec la création d’un organe dédié aux frontières ?
Dr. Alex K. EDOH : Je n’ai pas encore connaissance des termes du décret portant création, organisation et fonctionnement de l’Autorité togolaise des frontières. Mais en référence à mes travaux, je peux vous dire avec certitude que par la création d’une telle institution, le Togo vient de se donner les moyens pour une nouvelle approche dans la gestion des espaces frontaliers. L’enjeu sera de fédérer les moyens pour plus d’efficacité. Ailleurs c’est une structure en charge de l’élaboration des politiques de développement des territoires frontaliers et qui promeut la coopération décentralisée.

Togo Scoop : Oui mais il n’y a pas si longtemps vous avez soutenu votre travail de recherche qui portait notamment sur cette thématique, vous devez être plus indiqué pour nous apporter un éclairage.
Dr. Alex K. EDOH : Nous n’allons pas mettre la charrue devant les bœufs, attendons de prendre connaissance du texte pour mieux appréhender les attributions de la nouvelle structure. Une chose est de créer des commissions, des agences etc…, mais une autre est d’avoir des hommes et des femmes qui comprennent la vision, arrivent à la traduire dans les actions et apportent leurs sciences pour l’atteinte des résultats. Ce que je peux vous dire, c’est que par le passé il y avait plusieurs entités qui intervenaient dans la gestion des frontières au Togo. Vous avez les forces de défenses qui sont concernées, les services de la douane, la marine nationale, pour ce qui est de l’espace maritime, mais aussi la Direction des frontières au ministère en charge de l’administration du territoire et la Commission nationale de délimitation des frontières qui sont parties prenantes. Si vous prenez toutes ces entités, elles ne disposent pas des ressources nécessaires pour appréhender la question car la thématique de la gouvernance frontalière va bien au-delà des missions traditionnelles de ces structures que sont la gestion des flux migratoires, la fiscalité de porte et la sécurisation de nos frontières. Aujourd’hui avec la criminalité transfrontalière c’est une question pluridisciplinaire qui convoque plusieurs expertises. Souvenez-vous, au lendemain des premières attaques des terroristes au nord du pays, la réponse du gouvernement était la mise en place de l’opération Koundjoaré. C’est le premier réflexe que devrait avoir tout responsable, apporter une réponse sécuritaire à cette nouvelle forme de menace. Mais l’observation de la mise en œuvre de cette opération démontre que la réponse n’est pas dans le tout sécuritaire. C’est alors que vous avez observé par la suite une forme de mutation au sein du dispositif avec la prise en compte des aspects sociaux. Bien évidemment la solution se trouve de ce côté-là.

Togo Scoop : Expliquez-nous, pourquoi une telle mutation ?
Dr. Alex K. EDOH : Les défis sécuritaires auxquels sont confrontés les États africains de nos jours doivent interpeller bien d’acteurs. Le terrorisme, le crime transnational se nourrissent des injustices sociales, la pauvreté et le délaissement des espaces périphériques dont les zones frontalières. Le Togo partage avec le Ghana 877km de frontière, avec le Bénin c’est 651 km et avec le Burkina-Faso, la ceinture de feu fait 126 km. Il y a aussi la façade maritime ; quand vous avez plus de 1000km de frontières à sécuriser, êtes-vous sûr qu’une approche sécuritaire exclusive est indiquée ? Je ne crois pas. Les frontières sont des lignes imaginaires parfois matérialisées mais dans la plupart des cas elles sont poreuses. Aussi, la délimitation des frontières par le colon n’a pas pris en compte certaines spécificités notamment l’homogénéité culturelle des populations de part et d’autre de la ligne de démarcation. C’est ainsi que la frontière pour les riverains est perçue comme une sorte d’héritage de la colonisation, une atteinte à leur liberté. Les déviances auxquelles vous assistez dans ces zones ne sont pas isolées, elles méritent des réponses constructives. Aujourd’hui où le panafricanisme devient un projet de société qui fait des vagues, il y a matière à réfléchir. Il n’y a pas une seule puissance qui ait réussi à apprivoiser les frontières. Même aux Etats-Unis, lors des dernières élections, le thème phare était la migration ; ces flux migratoires proviennent d’où ? Pourquoi malgré tous ses moyens la Toute-puissante n’arrive pas à bout et vous voulez que ce soient nos pays avec des ressources déjà limitées qui puissent relever ce défi ? Les noms tristement célèbres comme Lampedusa sont présents les esprits, mais pourquoi l’Europe n’y arrive pas malgré des dispositifs institutionnels comme Frontex ? C’est vous dire tout simplement que la question des frontières n’est pas une mince affaire car plusieurs acteurs sont concernés. Les pays se doivent de mutualiser les moyens pour une meilleure appréhension de la question, l’intégration régionale tant souhaitée est d’ailleurs à ce prix.
Le Gouvernement togolais m’apporte une satisfaction dans ce domaine car j’observe depuis un moment une évolution des mentalités. Au-delà de cette mutation dont je parle au niveau de l’opération Koundjoaré, il est initié le projet d’urgence pour la région des savanes qui a coûté je crois près de 35 milliards. C’est un projet d’urgence et donc ponctuel, il va falloir disposer d’un organisme permanent qui élabore ces genres de politiques pour prendre en compte toutes les zones frontalières, c’est l’objectif à assigner à la nouvelle structure, une approche intégrée de la gestion des espaces frontaliers. C’est prendre en considération les besoins fondamentaux qui exposent ces populations, surtout les jeunes de ces milieux défavorisés, aux surenchères des groupes criminels. L’eau potable, l’électricité, les centres de santé, les infrastructures routières, l’emploi des jeunes, l’autonomisation financière des femmes ne doivent pas être un luxe pour les habitants de ces espaces mais une priorité. Une autre cause du taux élevé de criminalité dans les espaces frontaliers, c’est le repli identitaire car vous avez de part et d’autres des frontières les mêmes communautés, et il y a une sorte d’homogénéité culturelle et donc une solidarité tacite entre les communautés. Si ces communautés se sentent exclues du dividende national, alors l’extrémisme devient un recours. Si on ne prend pas en compte ces réalités, nos frontières seront toujours ces ghettos que nous dénonçons ; non ! Transformons nos espaces frontaliers en espaces d’opportunités. Les résidents des zones frontières doivent avoir les mêmes droits en termes de développement, d’aménagement du territoire. Si le salut des jeunes des espaces frontaliers doit être dans les trafics de toutes sortes, il y a danger. Encore que les organisations criminelles disposent aujourd’hui des moyens colossaux pour épater cette jeunesse en proie au chômage, au désespoir. Bien évidemment, il faut changer de paradigme et comprendre que ce ne sont plus que les miradors, les tranchées, les hommes en uniforme et autres qui font la sécurité. D’ailleurs on parle aujourd’hui de la coproduction de la sécurité et ceci implique une dynamique participative des populations. L’Union Africaine l’a compris c’est pourquoi elle a initié le Programme Frontière de l’Union Africaine (PFUA). Il y a des partenaires techniques comme la GIZ qui sont très impliqués sur la thématique. Je peux vous affirmer avec autorité que notre pays le Togo a manqué de débloquer beaucoup de facilités financières de ce programme juste parce que nous manquons de dispositif institutionnel approprié pour concevoir des projets et lever ces fonds. J’ai un peu travaillé sur ce volet et je crois que l’initiative de l’Autorité Togolaise des frontières est une expression de la prise de conscience des enjeux. Si l’Autorité dispose d’une autonomie de gestion, elle sera en phase avec les exigences des partenaires en développement. Ce que je peux dire pour finir, c’est que cet organisme ne soit pas instrumentalisé à d’autres fins car j’en ai vu des vertes et des pas mûres. J’ai pris peur quand j’ai entendu fin décembre des commentaires faisant état du projet de création d’une autorité de régulation des frontières, il y a eu une évolution sémantique et ce n’est pas anodin. C’est une belle vision que de créer cette Autorité, les zones frontalières vont enfin bénéficier des politiques de développement appropriées, mais à condition que les compétences et les ressources nécessaires soient consacrées à cela.

Togo Scoop : Merci beaucoup Docteur pour votre disponibilité.
Dr. Alex K. EDOH : Je vous en prie, c’est un plaisir renouvelé.

 

Propos recueillis par Albert AGBEKO
E-Mail: togoscoop@gmail.com
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