Il a dirigé le Togo d’une main de fer durant plus de 38 ans. Le 5 février 2005, faute de structures sanitaires adéquates dans le pays, le Général Gnassingbé Eyadema est évacué à l’étranger pour recevoir des soins. Dans l’avion qui le transportait, le Général s’est éteint en plein vol. Arrivé à Tunis, l’avion fit demi-tour pour regagner Lomé.

Le soir même, alors que le corps du Général était encore fumant, un groupe d’officiers supérieurs des Forces armées togolaises (FAT) monta sur le plateau de la télévision nationale (TVT) pour annoncer leur allégeance et le transfert du pouvoir au fils du défunt président, Faure Gnassingbé, en violation de la Constitution, qui stipule clairement qu’en cas de vacances à la tête de l’État, l’intérim est assuré par le président de l’Assemblée nationale.

Face à cette tentative de transmission monarchique du pouvoir, l’indignation et la réprobation furent générales. L’ancien président malien et président en exercice de l’Union africaine à l’époque, Alpha Oumar Konaré, fut l’un des plus virulents, qualifiant la situation de coup d’État orchestré par des « mercenaires à col blanc ».
Sous la pression, Faure Gnassingbé demanda d’abord qu’on lui accorde le temps de terminer le mandat de son père afin de corriger ses erreurs. La communauté internationale et l’opinion nationale opposèrent un refus catégorique. Une seconde proposition fut alors avancée : lui permettre de rester au pouvoir pour organiser des élections dans un délai de 60 jours, conformément à la Constitution. Mais là encore, les partenaires du Togo rejetèrent cette proposition et exigèrent un retour strict à l’ordre constitutionnel.
Ces deux tentatives révèlent que Faure Gnassingbé, alors même qu’il n’avait pas encore enterré son père, reconnaissait implicitement que l’image de ce dernier était écornée dans l’opinion et qu’il lui faudrait du temps pour la restaurer.
D’ailleurs, le ministre Christian Trimua n’a-t-il pas avoué sur RFI que « lorsque le président Faure Gnassingbé a accédé au pouvoir en 2005, il a hérité d’un pays socialement délabré, économiquement exsangue et politiquement divisé » ?
Par ces propos, les héritiers du Général dressent eux-mêmes un bilan négatif des 38 années du régime auquel ils appartiennent.
Ont-ils réussi, aujourd’hui, 20 ans après, à redresser la situation ? L’avenir nous le dira.
Effacement des symboles du régime Eyadema
Pour l’instant, le constat est que Faure Gnassingbé est devenu le premier opposant au règne de son père. En 20 ans, il a méthodiquement effacé les traces du président Eyadema. Certains événements auxquels son défunt père vouait un véritable culte ont été systématiquement supprimés, comme les célébrations du 13 janvier ou du 23 septembre.
Mais l’acte le plus marquant de cette volonté d’effacement est survenu en avril 2012, avec la création de l’Union pour la République (UNIR) en remplacement du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), le parti fondé par Gnassingbé Eyadema.
Les plus anciens se souviennent qu’en 1991, lorsque le Haut Conseil de la République (HCR), le parlement de transition, avait décidé de dissoudre le RPT, des militants se réclamant dudit parti, avaient été envoyés depuis le quartier d’Adéwui pour semer le chaos, obligeant le parlement à revenir sur sa décision. Or, Faure Gnassingbé, sans coup férir, a dissous ce parti sans provoquer la moindre réaction, y compris parmi ceux qui, trente ans plus tôt, s’étaient farouchement opposés à sa dissolution. Aujourd’hui, ces mêmes personnes occupent les premiers rôles au sein de la nouvelle formation politique créée sur les cendres de l’ancien parti.
Si Faure Gnassingbé a réussi à faire disparaître le RPT, il en a toutefois conservé les méthodes.
Dans cette logique d’effacement, à la dissolution du RPT, ses actifs ont été confiés à une fondation portant le nom de l’ancien président Gnassingbé Eyadema. Mais cette fondation est aujourd’hui une coquille vide. Elle a disparu des radars alors qu’elle aurait pu jouer un rôle social crucial en venant en aide aux populations et en restituant aux Togolais une partie du pactole accumulé durant des décennies par l’ancien régime.
L’aéroport de Lomé est l’une des rares réalisations de Faure Gnassingbé qui échappe à cette volonté de nettoyage. Portant le nom de Gnassingbé Eyadema, il rappelle à chaque voyageur foulant le sol togolais le règne de celui qui a dirigé le pays pendant presque quatre décennies.
Kara, une ville orpheline
S’il y a une ville qui est devenue orpheline après la disparition de Gnassingbé Eyadema, c’est bien Kara. Ville natale du défunt président, elle a perdu son âme à son décès. Vingt ans après, l’ombre du « Timonier » y plane toujours.
Eyadema a fait connaître Kara sur la scène internationale. Il y délocalisait certains sommets et y recevait des hôtes de marque. Aucun autre président n’aura autant marqué cette ville.
Pourtant, 20 ans après sa disparition, Kara n’a pratiquement pas changé. Tous les édifices importants, comme le Palais des Congrès, ont été construits sous son règne. Depuis, aucune nouvelle pierre n’a été posée par ceux qui prétendaient vouloir redorer son image.
Certes, on pourrait reprocher à Eyadema de ne pas avoir transformé, comme Félix Houphouët-Boigny, son village natal en capitale, mais il a fait ce qu’il pouvait en son temps. Aux successeurs de poursuivre l’œuvre du développement.
Hélas, la jeunesse de Kara est la première victime du système. Aucune entreprise n’y a été créée pour favoriser l’embauche. Le chômage y est endémique, et la ville manque parfois de tout, y compris d’eau potable, au point qu’on se demande comment elle a pu donner deux présidents au Togo.
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Partagée entre la nostalgie d’un passé perçu comme prospère et l’incertitude face à l’avenir, un jeune de la localité exprime son désarroi : « Kara n’est plus la même depuis le départ du président Gnassingbé Eyadema. Avant, elle était la vitrine du Nord. Aujourd’hui, tout semble à l’abandon. Les routes sont pleines de nids-de-poule, les lampadaires ne fonctionnent plus, et le marché central, autrefois animé, est en perte de vitesse. Les jeunes de Kara se sentent oubliés. À l’époque du président Eyadéma, il y avait des opportunités pour nous. Maintenant, on a l’impression que tout s’est arrêté. Beaucoup de jeunes diplômés sont au chômage, et ceux qui le peuvent quittent la ville pour Lomé ou l’étranger. Ce qui me fait le plus mal, c’est de voir les bâtiments publics se dégrader, faute d’entretien. Même les lieux symboliques de l’ère Eyadema semblent négligés. Nous avons l’impression que Kara, autrefois un centre d’attention politique et économique. Nous espérons que les autorités réagiront pour redonner vie à notre ville et offrir aux jeunes des perspectives d’avenir ici, chez nous, à Kara. »
En définitive, Faure Gnassingbé s’est imposé comme le principal opposant au règne de son père, en déconstruisant méthodiquement son héritage politique. Mais cette déconstruction n’a pas donné naissance à un modèle alternatif clairement défini. Le Togo, vingt ans après, reste en quête d’un véritable renouveau, et l’histoire jugera si cette transition aura été une rupture bénéfique ou simplement une continuation sous une autre forme.
Francine DZIDULA
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