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YAS ET CONFAM

Togo : « Le régime togolais serait le premier de son genre », professeur Afo Sabi

YAS ET CONFAM

Le mercredi 3 juillet 2024, le front citoyen « Touche pas à ma constitution » a organisé une conférence débat. Au cours de cette rencontre publique, l’enseignant-chercheur à l’Université de Lomé, Afo Sabi a entretenu l’assistance sur ce que c’est que la constitution et quelles en sont les incidences de sa modification.

La Rédaction de Togo Scoop vous propose une transcription de cette intervention du professeur Afo Sabi.

TOGOCOM DEVIEN YAS

La constitution, il faut retenir simplement que dans un Etat, c’est l’ensemble des règles qui sont adoptées par le peuple dans une démocratie et qui sont considérées comme les plus importantes. Et ce sont ces règles qui vont régir non seulement l’existence de l’Etat, les relations au sein de l’Etat et aussi à l’extérieur de l’Etat. Et donc, finalement la constitution va également régir la vie de l’Etat. On comprend toute l’importance de la constitution. Normalement l’exercice de la souveraineté appartient au peuple. Mais, on sait tous, dorénavant que le peuple ne peut exercer directement cette souveraineté et c’est pour cette raison qu’il est souvent appelé à prendre un certain nombre de mesures, notamment à choisir ses représentants et aussi et surtout à fixer les règles fondamentales qui vont régir la vie au sein d’un Etat.

A partir du moment où ces règles sont fixées, on ne va pas dire qu’elles sont fixées dans le marbre. C’est pour ça qu’on dit qu’un peuple a toujours le droit de changer de constitution. Mais dans le même temps, quand on est dans une démocratie parce que là aussi il faut préciser la constitution n’a pas la même signification dans une démocratie que dans une non-démocratie pour ainsi dire dans une autocratie qu’on appelle ainsi la dictature. Dans la dictature, c’est le dictateur qui est au cœur des règles, c’est lui qui est le pourvoyeur des règles.

Mais dans une démocratie, c’est le peuple qui est le pourvoyeur des règles et cela signifie que rien ne peut se faire de fondamental et qu’on ne peut même plus modifier ce que le peuple avait déjà fixé sans véritablement la participation du peuple. Et donc,  dans ces conditions, on peut parfaitement se poser la question de savoir comment finalement apprécier ou lire le processus constituant de la 5ème République qui est à l’origine de la 5ème République togolaise ? C’est bien que les réalités sont là. Nous sommes dans la 5ème République, peu importe comment on y est arrivé. Mais on y est semble-t-il.

Dans la dictature, c’est le dictateur qui est au cœur des règles

Alors pour pouvoir apprécier ce qui a été fait jusque-là, on a porté nos regards sur deux angles. D’abord, sous l’angle de l’exercice du pouvoir constituant et ensuite sur l’angle de la finalité même du processus qui a été mené.

Sur le premier aspect à savoir l’exercice du pouvoir constituant. Il faut d’abord préciser que le pouvoir constituant, c’est le pouvoir d’établir ou de modifier une règle constitutionnelle ou pour dire le pouvoir de modifier la constitution.

Dans ces conditions, on remarque bien, le pouvoir constituant en lui-même s’appréhende de deux manières, c’est-à-dire, il y a ce qu’on appelle le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé.

Le pouvoir constituant originaire, c’est en réalité ce que j’ai défini, c’est-à-dire les règles fondamentales que le peuple fixe pour régir la vie de l’Etat. Le pouvoir constituant dérivé, c’est le pouvoir qui est reconnu le plus souvent au parlement dans une certaine figuration, dans une certaine mesure pour modifier ce qui a été retenu par le peuple de façon originaire. Mais cela est également reconnu sous forme de pétition. Le peuple peut aussi dans certaine forme participer à cette modification ; on parle d’initiative populaire.

dans une démocratie, c’est le peuple qui est le pourvoyeur des règles

Alors si on appréhende le pouvoir constituant sous cet angle, on va comprendre que la constitution de la 5ème République a été adoptée du début jusqu’à la fin par le parlement togolais pour ainsi dire par l’Assemblée nationale togolaise (…).

Dès qu’on change le préambule d’une constitution, en réalité c’est qu’on a changé de constitution.

Dans ces conditions, la réponse qu’on peut apporter à comment on lit ce processus-là. C’est qu’il y a une usurpation du pouvoir constituant originaire et naturellement cette usurpation débouche sur qu’on peut appeler la fraude à la constitution.

Usurpation du pouvoir constituant originaire, je viens de le dire, c’est le peuple qui est le seul détenteur du pouvoir originaire et donc si on veut établir une constitution ou on veut changer de constitution. On est dans l’exercice du pouvoir constituant originaire, et donc c’est seulement le peuple seul qui peut changer de constitution. On dit qu’un peuple a toujours le droit de changer de constitution.

A partir du moment où le processus a été mené par l’Assemblée nationale sans que le peuple ait été impliqué, il va sans dire qu’il y a de l’usurpation. Autrement dit, les parlementaires ou les députés qui sont considérés comme les envoyés du peuple, les représentants du peuple, ont exprimé quelque chose qui appartient normalement au peuple lui-même et d’ailleurs on le voit dans le texte qui a été promulgué. Dans le préambule, la première phrase qu’on peut lire est : « nous peuple togolais, … ».

Et donc, nous peuple togolais, c’est censé être fait par le peuple togolais. Or, comme je viens de le dire c’est le parlement, c’est l’Assemblée nationale togolaise qui du début jusqu’à la fin a conduit ce processus, le peuple n’a jamais été invité nulle part. C’est pour cette raison qu’on peut parler d’usurpation. Je précise que même s’il restait encore deux ans aux députés, ils n’avaient pas du tout le pouvoir de changer de constitution.

Dans ce processus-là, on a aussi entendu beaucoup d’analyses, beaucoup de discours, à savoir le problème posé par l’article 59 de la constitution de la 4ème République.

c’est seulement le peuple seul qui peut changer de constitution.

Certains ont estimé que cet article est inapplicable. Mais si cet article est inapplicable, ça veut dire qu’en réalité les autres articles ne sont pas non plus applicables. Parce que, c’est vrai, la révision de la constitution de la 4ème République est régie par l’article 144. Mais l’article 59 est une disposition particulière qui, précise que lorsqu’on veut changer le mode de désignation du président de la République, qu’on veut changer la durée de son mandat…, on ne peut recourir à une telle modification qu’avec le peuple. C’est le peuple qui peut modifier, ça veut dire qu’on ne peut pas réviser toute la constitution sans le peuple. Et si on n’avait pas révisé le mode de désignation du président de la République, le problème ne saurait pas peut-être poser sur cet angle-là.

Et donc l’article 59 était pleinement applicable. Dans ces conditions on s’aperçoit qu’il y a une fraude à la constitution, une fraude aggravée.

D’abord, c’est quoi une fraude à la constitution? Il y a eu beaucoup de thèses. Mais ce qu’on peut retenir de façon générale est qu’il y a fraude à la constitution lorsqu’on utilise un processus ou une procédure de la constitution qui est donc licite pour contourner la constitution elle-même.

On a simplement transféré les pouvoirs exécutifs de la 4ème République au profit du Président du conseil des ministres sous la 5ème République

Ici, au début tout le discours était de dire qu’on en train de réviser la constitution. Mais au bout du compte c’est un changement de constitution. Dès qu’on change le préambule d’une constitution, en réalité c’est qu’on a changé de constitution. On l’avait clairement dit. D’ailleurs, le texte qui a été promulgué, c’est la Loi portant constitution. Ça veut dire qu’il n’y a pas eu une révision de la constitution donc on a utilisé la procédure de la révision non pas pour réviser la constitution, au contraire pour changer la constitution elle-même. Ça c’est la fraude à la constitution. Une fraude aggravée dans la mesure où ça a été décidé dès le départ, c’est délibéré. Parfois, il y a des révisions qui aboutissent à un changement de constitution, on le sait et on parlera de mutation constitutionnelle. Ici, il n’y a pas eu de mutation. Il y a carrément changement de constitution. Mais le changement a été décidé dès le départ.

Le facteur aggravant, c’est que l’Assemblée nationale était en fin de mandat où elle ne peut plus que gérer les affaires courantes. Cette notion d’affaires courantes ne s’applique pas seulement en matière administrative. Elle s’applique également en matière législative ou constitutionnelle. Admettre le contraire reviendrait à considérer que le maintien de l’Assemblée nationale prorogeait le mandat des députés. Ce qui n’est pas le cas. Donc, cette fois-ci, le fait que l’Assemblée soit en fin de mandat a un rôle à jouer.

Dorénavant si c’est cette constitution qui est appliquée, c’est le Parlement (la loi) qui est sa source et non le peuple. Ce qui veut dire que cette constitution n’est pas supérieure à la loi.

Lire aussi ; Togo: Le front du refus de la nouvelle constitution s’affirme

 

Sous le second axe de mon intervention, on va apprécier le processus constituant de la 5ème République au regard de sa finalité. La finalité, c’était quoi ? C’est d’établir un régime parlementaire.

Je voudrais tout suite dire que cela constitue un alibi. Alibi du régime parlementaire. Au fond, quand on analyse on ne voit dans cette constitution aucune préoccupation liée à un régime politique.

D’abord, pourquoi c’est un alibi ? Les caractéristiques fondamentales d’un régime parlementaire ne se retrouvent pas dans le texte de la constitution de la 5ème République. En réalité, ces caractéristiques sont marquées par la phrase « tu me renverses, je te dissous ». Si le parlement peut renverser le gouvernement, le gouvernement peut à son tour dissoudre le parlement. C’est une égalité entre le parlement et le gouvernement.

Une fraude aggravée dans la mesure où ça a été décidé dès le départ

Mais dans la présente constitution, il n’y a pas d’égalité. Au contraire, il y a une inégalité déséquilibrée de pouvoirs qui est affirmée au profit du gouvernement qui est dirigé par le Président du conseil des ministres parce que les moindres éléments, les moindres pouvoirs du régime parlementaire ne se retrouvent pas à savoir la motion de censure. L’opposition parlementaire qui face à l’inertie de la majorité parlementaire peut normalement agiter la menace d’une motion de censure. Eh bien ! l’opposition est désarmée sur ce point-là parce qu’elle ne peut pas utiliser cette procédure de la motion de censure. Cette constitution rend impossible cet exercice. Or, c’est un aspect fondamental du régime parlementaire. Parfois, même quand la minorité parlementaire sait que son initiative n’aboutirait pas, elle dépose malgré toute la motion de censure, car elle ouvre un débat. Et le peuple est souvent pris à témoins dans la perspective de nouvelles élections. On a donc enlevé cette part marquante du jeu parlementaire

En réalité, comme je l’ai dit quand on analyse les faits, ce qui a été fait, on s’aperçoit que ce qui a été fait dans cette constitution est étranger à un souci de régime politique. Pourquoi, on le dit ? Parce qu’actuellement le régime togolais n’est ni un régime parlementaire ni un régime présidentiel. Et on ne le retrouve pas dans la classification qui est reconnue, aussi bien au niveau du droit positif, les juristes constitutionnels, il n’y a pas un régime qui ressemble à celui du Togo.  Ça veut dire que dans ce cas le régime togolais serait le premier de son genre.

Enfin, ce qui a été changé dans cette constitution, c’est la forme de l’exécutif. C’est-à-dire que ce n’est pas un régime politique mais la forme de l’exécutif. On a simplement transféré les pouvoirs exécutifs de la 4ème République au profit du Président du conseil des ministres sous la 5ème République et c’est à ce niveau seulement qu’on peut parler véritablement de changement constitution. 

En conclusion, je dis qu’avec cette constitution, il est plus facile de réviser la constitution que de censurer (destituer) le Président du Conseil des ministres. Deux arguments pour l’étayer.

  1. L’initiative de la révision constitutionnelle est conditionnée par une majorité de 1/5 (20%) des députés alors que l’initiative de la destitution du Président du Conseil des ministres est conditionnée par une majorité des 2/5 (40%) des députés.
  2. Pour que la révision constitutionnelle soit considérée comme adoptée, il faut dorénavant 3/5 (60%) des députés et non plus 4/5 précédemment. Mais pour que le Président du Conseil des ministres soit considéré comme destitué, il faut une majorité de 3/4 (75%) des députés.

Je suis enseignant à l’université. Je suis tenu à l’objectif. Et j’espère avoir fait preuve de cette objectivité.

 

Transcription de la Rédaction de Togoscoop

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